Propos recueillis par Jean-Marc Soboth
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Côte d’Ivoire, franc Cfa, nucléaire, OTAN, Françafrique, etc.
Shlomit Abel
Alsacienne devenue Israélienne à la faveur d’une émigration en «terre promise» qui remonte à 1995, Shlomit Abel est une femme cultivée, qui à l’automne 2010, prend brusquement conscience de ce qui se trame en Afrique noire et notamment sous la Côte d’Ivoire du président Laurent Gbagbo. Cette adepte du Sionisme vivant en Israëlest engagée aux côtés d’uneAfrique noire agressée par la France et sa« communauté internationale » Elle se livre ici à cœur ouvert
Jean-Marc Soboth: Le continent africain défraie la chronique depuis l’assassinat, le 20 octobre 2011, de Mouammar Kadhafi par les Occidentaux. Ce forfait de l’OTAN dont nous subissons les graves conséquences aujourd’hui sur la Libye et la sous-région sahélienne fut précédé par le règlement catastrophiquede la crise ivoirienne par bombardements français, suivi de l’arrestation du président Laurent Gbagbo par les forces spéciales françaises le 11 mars 2011… Le Mali a été envahi; il y a Boko Haram puis Ebola... En Centrafrique, la situation ne s’améliore pas malgré la résolution de l’ONU amenée par la France. Qu’en dites-vous?
Shlomit Abel: On ne peut être que découragé par l’accélération des conflits sur fond d’agressions et de divisions de territoires... La France et les États-Unis rivalisent d’adresse pour dévaliser ce qui reste à dévaliser en Afrique, précipitant les populations dans la misère et le chaos afin qu’elles n’aient plus la force de se défendre et de croire en une indépendance possible. À une époque, je prenais le temps de suivre les conflits un peu partout. Maintenant c’est impossible. C’est trop lourd. Ajoutez à cela l’Ukraine et tous les otages de cette politique qui vise à renverser Vladimir Poutine pour arriver au gaz russe, et, bien sûr, la Syrie, l’Iran, il y a de quoi pleurer. Le Nazisme c’était il y a 70 ans. Finalement ses vertueux condamnateurs ont fait et font bien pire, en vouant à la destruction des peuples, des continents entiers. Inavouables héritiers d’Hitler, ces Occidentaux-là sont au dessus de tout soupçon. Pourtant, ils se retranchent continuellement derrière l’épouvantail du Nazisme!
Jean-Marc Soboth : Vous êtes Israélienne, mais vous avez véculongtempsen Europe, en France notamment... Que pensez-vous des relations entre la France et les pays africains, surtout francophones, à l’aune du XVème sommet de la Francophonie de Dakar ?
Shlomit Abel : Je suis devenue israélienne en 1995 en effet. Nous avions choisi, mon mari et nos quatre enfants, de nous installer à Jérusalem pour partager le destin du peuple juif sur cette terre de toutes les promesses. Je suis restée culturellement Française, Alsacienne plus exactement pour ceux qui relèveront la nuance. Je souffre doublement de voir la France se comporter en État-voyou, comme je souffre de voir Israël, mon pays, fermer les yeux et soutenir la politique du grand-frère américain.
Cela dit, c‘est à travers la crise électorale ivoirienne et mon désir d’en savoir davantage sur le diktat du franc CFA imposé à toute l’Afrique de l’Ouest — soit 14 pays — que mes yeux se sont ouverts à l’automne 2010. La France, un pays à peine sorti au Printemps 1945 de la guerre, avec à sa tête un héros national comme le Général de Gaulle, imposant une tutelle à ses colonies plus musclée encore que celle imposée par l’Allemagne à la France, alors qu’il a refusé le plan Marshall des Etats-Unis, flairant le piège de la dépendance à venir, et ce à Noël 1945 ! Quel cadeau empoisonné ! À l’origine, je crois que 80% des montants des transactions africaines restaientconfisquées dans les banques françaises. Et dire que ce franc CFA imposé à tous ces pays sous tutelle ne peut être utilisé en commun par les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, comme aujourd’hui l’euro dans la communauté européenne…
Jean-Marc Soboth: Envolées donctoutes vos illusions sur lagentilleFrance, «patrie des droit de l’homme», doit-on conclure ? Le cocktail semble costaud en effet: franc Cfa, accords de défense, groupes français,nucléaire et tutti quanti…
Shlomit Abel: Je porte sur les événements d‘actualité un regard différent désormais. Par exemple sur le choix du tout nucléaire en France justement. Ça n’a rien d’idéologique. C’est uniquement lié au fait que la France paie l’Uranium à 5% de sa valeur… Ce qui est triste, c’est que les gouvernements successifs — droite et gauche confondues — ont bradé des pans entiers des biens publics dans un processus de privatisation à outrance. Les Français eux-mêmes ne connaissent pas l’histoire vraie des relations avec l’Afrique. Ils ne ressentent pas l’injustice dont l’Afrique est victime parce qu’ils paient très cher leur électricité. Ils sont eux-mêmes devenus les otages des lobbies financiers qui tiennent le pays dans la nasse. En déclarant que l’Africain n’était pas encore assez rentré dans l’Histoire,Nicolas Sarkozy décrit bien l’envers du décor. C’est une habile propagande à long terme destinée à prouver aux bons Français que les Africains sont restés immatures, incapables, voire indignes de prendre en main leur destin. C’était pour montrer qu’ils sont tout juste bons à dépendre des subventions extérieures, inaptes à transformer et commercialiser eux-mêmes leurs ressources — cacao, minerais, pétrole, etcIls seraient de grands enfants qu’il faut encore et toujours assister !
Jean-Marc Soboth: Comment y percevez-vous le rôle des générations des Africains qui étudièrent avec vous en France à l’époque,par rapport à aujourd’hui ?
Shlomit Abel: J’étais étudiante il y a de cela plus de 35 ans. Je me souviens que mes camarades africains ne parlaient jamais de ce qu’ils vivaient. Ils en auraient pourtant eu l’occasion en dénonçant ouvertement les travers de la France, mais c’était tabou. Leur unique ambition était souvent d’épouser une Française pour ne plus avoir à quitter ce pays pourtant responsable des souffrances ou des carences les ayant contraints à s’exiler. Même si cette forme singulière du syndrome de Stockholm est loin d’avoir disparu, on a aujourd’hui affaire à une nouvelle jeunesse fortement conscientisée, fière d’être africaine, comme cela se voit dans les costumes et les coiffures. Même en Israël, depuis quelques années, les Éthiopiennes se font moins défriser les cheveux, optant pour des petites tresses, devenues à la mode chez beaucoup de jeunes Israéliennes non-africaines…
Jean-Marc Soboth: Changeons de sujet de lieu. Notre génération avécul’opération dite Salomon, qui procéda àl’émigration des Falashas éthiopiens en Israël… Aujourd’hui, le racisme à l’égard des Africains bat son plein en Israël. Cela semble contribuer à doper une sorte d’antisémitisme typiquement africainen Europe plagié sur un ancien modèleeuropéen… On assiste à des manifestations racistes visant les Africains en Israël… Les Africaines sont victimes de stérilisation... Que pensez-vous de tout cela ?
Shlomit Abel:Pour commencer par la fin de votre question, je vais dire ce que je constate autour de moi, habitant précisément au cœur d’un quartier où les 3/4 de la population sont d’origine éthiopienne. J’aiaussi une fille à Tel-Aviv dans le quartier le plus africain de la ville. Durant deux shabbats de suite dans notre grande synagogue de la bourgeoisie ashkénaze, les Ethiopiens de la communauté ont été à l’honneurà l’occasion d’une circoncision puis d’un grand mariage. La première suggestion que j’aimerais faire c’est que ceux qui se posent sincèrement la question du racisme en Israël viennent sur place voir ce qu’il en est. J‘ai d’ailleurs une chambre à leur disposition.
Ceci étant, il est vrai, la politique israélienne a toujours été placée sous le signe d’une certaine ambiguïté. Les scandales n’ont jamais cessé d’émailler l’histoire du pays, notamment en ce qui touche à l’intégration de certaines communautés. L’histoire la plus révoltante est certainement celle de la planification, dans les années 50, del’adoption illégale de centaines d’enfants Yéménites nouveaux immigrants — «officiellement» décédés — par des familles de Juifs laïques originaires d’Europe. Le prétexte fut de résoudre le problème de l’intégration d’une communauté jugée trop religieuse et trop attachée à ses traditions… Mais tous ces scandales et les manipulations qui les ont accompagnées n’ont jamais menacé l’épanouissement et, à plus forte raison, la survie des communautés concernées. La communauté yéménite est aujourd’hui florissante. Il en est de même de la communauté éthiopienne. Elle est représentée dans toutes les couches de la société – y compris au sein de la hiérarchie militaire –, et son taux de natalité dépasse la moyenne nationale…
Pour ce qui est du racisme dans le quotidien, mon dernier souvenir en date remonte à plusieurs semaines. J’ai été témoin de l’organisation d’une grande fête africaine dans un jardin public de Tel-Aviv. Une telle manifestation dans un grand jardin parisien relèverait de l’utopie. Il y avait de la musique africaine à fond, des danses, des feux et grillades ; tout cela un vendredi soir, à la sortie des synagogues…
Si les tensions existent, elles n’existent que dans les grandes villes et, exclusivement, dans des quartiers anciens aux identités communautaires fortes. La population traditionnelle y supporte mal la présence d’Africains dans une proportion qui dépasse parfois le seuil des 40% de la population..
Jean-Marc Soboth: On évoque parfois le cas d’une parlementaire d’origine éthiopienne dont le sang a été refusé lorsqu’elle voulait donner du sang… Une affaire de Sida collerait à la peau des Africains en Israël…
Si débordements il y a eu ces deux dernières années, ils sont restés l’exception, ai-je dit. Ils ne reflètent en rien la réalité quotidiennedans la durée. On a beaucoup parlé de la parlementaire d’origine éthiopienne dont le sang a été refusé lorsqu’elle s’est présentée, accompagnée de caméras, pour un don du sang. En fait, étant donné le nombre d’immigrants porteurs, à leur arrivéeen Israël, du virus du sida, le ministère de la santé avait simplement opté pour des précautions. Ce n’est d’ailleurs pas un système isolé. En tant que Française, je n’ai jamais pu donner mon sang, potentiellement porteur du bacille de la vache folle. Maintenant encore, mon sang est interditpour avoir été atteinte il y a plus de trente ans d’une autre maladie. En France, on a moins de scrupules, avec parfois les conséquences que l’on sait — scandale du sang contaminé, etc… Alors, encore une fois, que l’on ne vienne pas me parler de racisme !
Jean-Marc Soboth: En résumé, le racisme n’existerait pas dans le quotidien en Israël d’après vous, contrairement à ce que l’on rapporte… Pour vous, les médias déblatèrent ou affabulent…
Shlomit Abel: Comment peut-on qualifier de raciste un pays qui a accueilli proportionnellement plus d’Africains qu’aucun pays au Monde, et ce, dans le contexte d’une société confrontée à des défis et à des difficultés inconnues des sociétés européennes ? À certaines périodes, on est allé jusqu’à approcher les 1000 réfugiés par semaine. Fin 2010, Israël comptait davantage d’étrangers en situation irrégulière (150 000, ce qui, rapporté à la France, nous donnerait un million et demi de « sans-papiers») que de travailleurs étrangers munis d’un permis de travail (76 000 personnes).
Si l’on exclut les 100 000 étrangers arrivés en Israël avec un visa de touriste et restés dans le pays, ce sont près de 50 000 personnes qui, à cette date, avaient clandestinement traversé la frontière, dont 33 000 en provenance d’Afrique, 13.500 personnes rien qu’en 2010. Des statistiques plus récentes faisaient état de 63 000 cas d’immigration clandestine en provenance d’Afrique de 2006 à fin 2012.
S’il est vrai qu’une loi a été votée pour endiguer l’immigration, avec des expulsions à la clé, nous disposons ici,à la différence de l’Hexagone,d’une Haute Cour de Justice connue pour donner systématiquement raison aux personnes en difficulté contre l’État. Personne ne peut s’opposer aux décisions de cette Cour. Ce qui fait qu’en réalité, les expulsions continuent de ne concerner qu’environ 2% des clandestins. Sans parlerde «BeTsélèm», cette ONG qui se mobilise au moindre incident opposant Palestiniens ou étrangers aux forces de l’ordre, mettant un point d’honneur à tout filmer et à tout dénoncer..
Jean-Marc Soboth: À quoi cela a-t-ilservi de stériliser desÉthiopiennes ? C’est très grave !N’est-ce pas là une stratégie génocidaire évidente de l’État d’Israël ?
Shlomit Abel: La société Israélienne a beaucoup de défauts. Mais une de ses qualités c’est que tout y apparaît au grand jour. C’est le cas du scandale de ces femmes éthiopiennes non pas «stérilisées», mais soumises à un traitement aboutissant à long terme à la stérilité. J’ai bien suivi la chose. Il s’agissait au départ d’une mesure préconisée par les médecins de l’Agence Juivepour limiter l’accroissement de la population dans les camps de transit en Éthiopie. Pour des raisons politiques indépendantes de la volonté d’Israël, des milliers de personnes avaient dû attendre des années avant d’émigrer. Par la suite, certains des médecins qui ont assuré le suivi médical de ces femmes éthiopiennes en Israël, handicapés par la barrière de la langue, ont tout bonnement pensé que la prescription d’une injection annuelle figurant dans leur dossier reflétait la volonté de d’adopter les critères de l’Israélien moyen en matière de natalité.
Néanmoins, quelque puisse être le cynisme de la politique étrangère de l’Etat, ceci ne déteindra jamais sur la réalité israélienne sur le terrain. Peu de pays au monde comptent autant de citoyens prêts à payer de leur personne pour que justice soit rendue au quotidien, à l’exemple des ces armées de bénévoles consacrées à l’accueil des étrangers au nom de valeurs de solidarité et de compassion.Il ne faut pas oublier que nous sommes en Orient. Lorsque dans une manif, vous entendez des propos outranciers d’une poignée d’excités, sachez qu’ici la parole dépasse toujours l’intention Cette violence verbale qui partout ailleurs dégénérerait très vite en violence physique ne dépasse pratiquement jamais le stade des mots. Je vous invite à reprendre la Bible et à relire ces textes terrifiants où Dieu menace de destruction ses propres créatures. Mettez-y le ton et vous comprendrez que Dieu, lui aussi, est peut-être un Oriental prompt à s’emporter, mais dont la patience et la justice l’emportent toujours sur sa rigueur.
Jean-Marc Soboth: Le conflit Israélo-palestinien ne pose-t-il pas un problème à l’essence et à l’existence même de l’État d’Israël ? Ailleurs, les conflits ont une cause lointaine ou immédiate autour de richesses du sol ou du sous-sol… Ce n’est pas le cas en Israël. Quelle est, d’après vous, la lamede fond de ce conflit qui génère autant de morts dans cette partie du Monde?
Shlomit Abel: Comme en Afrique, le conflit israélo-palestinien est créé de toutes pièces par l’Occident afin d’assurer son contrôle sur les ressources pétrolifères de la région. Malheureusement, beaucoup d’Africains répètent la doxa française classique : « les victimes d’hier sont les Nazis d’aujourd’hui ». Ils pleurent sans savoir qu’ils sont téléguidés par le même Occident qui les polarise sur les pauvres Palestiniens « génocidés ». Savez-vous que le nombre des victimes musulmanes du conflit israélo-palestinien représentait en 2007 0,3 % de l’ensemble des Musulmans tués dans le Monde depuis 1950, c’est-à-dire 31 000 sur 11 millions et demi ? Sur ces 31000, 19000 étaient palestiniennes.
A ce jour, on déplore côté palestinien la mort de 21000 personnes en l’espace de 66 ans, de 1948 à 2014. Sur ces 21000 victimes, au moins 2300 ont été tuées par les leurs. D‘ailleurs, les statistiques palestiniennes incluent toujours les victimes d’assassinats internes. Pendant la dernière guerre de Gaza, le Hamas a éliminé à deux reprises plus d’une vingtaine de Gazaouis qui avaient osé crier tout haut leur ras-le-bol. Cette cinquantaine de morts aévidemment été comptabilisée sur le dos d’Israël… Du côté juif israélien, pendant la même période 1948-2014, 25655 personnes ont perdu la vie, dont 2500 dans des attentats terroristes.
Il est urgent que les Africains comprennent le rôle d’opium du peuple joué par la surenchère médiatique autour de ce conflit. Elle sert à mieux étouffer leurs velléités de révolte face aux génocides à répétition — bien réels ceux-là !— qui ensanglantent le continent noir. Rien qu’en République Démocratique du Congo, les menées souterraines de l’Occident ont entraîné la mort de plus de 7 millions de civils en moins de trente ans. Le paradoxe, c’est que dans ce domaine, les humanistes les plus zélés des gauches européennes, bruyamment pro-palestiniennes, s’avèrent être les alliés les plus efficaces des exploiteurs de l’Afrique.
Jean-Marc Soboth: Qu’en est-il du comportement controversé de l’armée israélienne, très souvent dénoncé dans certains médias?
Shlomit Abel: Je dirai simplement qu’Israël possède sans doute l’armée la plus civilisée de l’histoire contemporaine et universelle. C’est une armée au sein de laquelle toute infraction aux droits de l’homme est punie avec la dernière sévérité. C’est une armée qui ne bombarde aucune cible sans avoir prévenu par tous les moyens possibles la population concernée. C’est une armée qui, pendant les dernières semaines du récent confit à Gaza, est allée jusqu’à risquer la vie de ses soldats sur le terrain pour aller inspecter les bâtiments visés, de peur qu’ils n’abritent des boucliers humains, comme ces handicapés retrouvés enchaînés dans un bâtiment à haut risque ayant servi de base de lancement de missiles. Je suis fière de la manière dont mes enfants se sont comportés lors de leur service militaire et leur période de réserve. Quand des Africains, trop rapidement, lisent des rapports tronqués ou rapportés par des sources volontairement avilissantes, j’ai mal. Parce que cette armée d’enfants de 18 à 21 ans est justement tout sauf une armée de tueurs. Le fait de les comparer aux FRCI et autres rebelles ivoiriens est à la fois grotesque, absurde, stupide et douloureux.
Jean-Marc Soboth: Revenons en Israël. Parlons du plan de « partage » de la Palestine…
Shlomit Abel: Pour ce qui est du plan de partage de la Palestine, il suffit de regarder la carte pour comprendre tout de suite qu’il est le fait de décideurs incompétents ou volontairement cyniques. Après les larmes d’émotion versées en 1948 – au lendemain d’une Shoah dont le nombre de victimes est aujourd’hui évalué à 7 millions suite aux recherches du Père Patrick Desbois sur les fosses communes d’Europe de l’Est ‒ et dans le généreux sillage de croyants sincères comme Lord Balfour, militant pour la création d’un foyer national devant mettre les Juifs à l’abri sur les lieux où vécurent leurs ancêtres –, il est clair que le seul désir des maîtres d’alors était de disposer d’une tête de pont totalement occidentalisée dans cette région stratégique. Ils avaient besoin d’une tête de pont suffisamment « sûre » pour protéger les intérêts occidentaux, mais suffisamment fragile pour ne jamais s’affranchir de leur tutelle. La continuelle alimentation du conflit n’avait d’autre but que d’entretenir la fragilité d’Israël tout en permettant sa survie. Au départ, la création d’Israël donnait l’impression aux croyants – Juifs, chrétiens et même musulmans, comme le roi Abdallah de Jordanie, arrière-grand-père du roi actuel – que l’accomplissement des promesses divines étaient en marche. Mais tout à été fait pour que le déroulement des événements vienne déraciner cette espérance, et pour qu’aux yeux de tous, le conflit se réduise à une insoluble équation politique.
Néanmoins, je crois qu’Israël a sa place dans la région et que la résurrection de l’État d’Israël correspond aux prémices de la réalisation d’un projet surhumain. La condition de réussite d’un tel projet c’est qu’Israël ne perde pas de vue sa vocation éternelle. Israël doit devenir un instrument de paix et de prospérité pour tous les peuples qui l’entourent, et à terme pour les peuples du Monde entier. Et ne me dites pas qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, que tout cela n’est qu’un rêve abstrait ! Les Arabes d’Israël sont d’ores et déjà, et quoique l’on en dise, les Arabes les plus heureux de la terre ; ils sont plus heureux que ceux de Tunisie, de Libye, d’Égypte, du Mali, de Syrie, d’Irak, autant de pays bénéficiant à des titres divers du traitement de faveur de la communauté internationale. Ils sont plus heureux même que ceux d’Arabie Saoudite, du Qatar ou des Émirats, dont les immenses richesses ne profitent qu’aux riches, et non aux armées d’esclaves qui symbolisent leur asservissement matériel et moral à l’Occident.
Jean-Marc Soboth: Le Conseil de Sécurité de l’ONU n’a jamais envoyé de force d’intervention en Israël si mes souvenirs sont bons. Cela ne fait-il pas deux poids deux mesures ? Cela voudrait-il dire que l’ONU n’a aucune compétence dès lors qu’il s’agit de conflit israélo-palestinien ?
Shlomit Abel: L’ONU est présente. À Jérusalem, il y a des bureaux et des ONG humanitaires travaillant en milieu palestinien. L’ONU devait être au Liban et sur le plateau du Golan, frontière avec la Syrie mais les soldats de la FINUL se sont courageusement retirés, laissant l’armée d’Assad sur la frontière syro-israélienne se débrouiller seule, c’est à dire la laissant aux prises avec les hordes sauvages de l’État Islamique, destructeur accrédité par la Communauté Internationale.
Mon fils aîné en période de réserve cet été a vu les rebelles occuper le terrain laissé vacant par l’ONU et promettre aux soldats israéliens, stationnés à moins d’un kilomètre, qu’ils s’occuperaient d’eux quand ils en auraient fini avec Assad ! Vous comprenez que le rôle de l’ONU – ici via la FINUL– n’est pas d’aider les peuples à renouer le contact, à se rapprocher. En Israël et chez ses voisins, comme ailleurs, l’ONU fonctionne selon les schémas que vous connaissez dans toute Afrique noire. Vous avez pu en constater la « pertinence » mortifère au Rwanda, et plus récemment en Côte d’Ivoire, lorsqu’il s’est agi de remplacer la vérité par le mensonge, le droit par l’injustice, la vie par la mort
Et justement, Je bénis le ciel de ce qu’Israël, en dépit de toutes les manœuvres visant à le réduire à l’Etat « croupion« dont rêvaient les grandes puissances en 1947, est devenu un Etat suffisamment fort pour tenir la dragée haute à l’ONU et à ses sbires. Ma seule prière, c’est de voir cette force devenir un levier libérateur pour toutes les nations opprimées et manipulées. Je crois que sur ce planle plan militaire, l’heure est venue pour les Africains de s’inspirer du modèle israélien. Ilsdoivent tout faire pour « convertir » Israël à la justesse de leur cause, dont la défense coïncide précisément avec sa vraie vocation. Je vous garantis que le jour où l’on verra sur le sol africain des armées organisées, équipées et formées à l’Israélienne, les Occidentaux - Américains et Français en tête -, n’auront plus qu’à déguerpir.
Jean-Marc Soboth: Que pensez-vous du débat passionné autour de l’antisémitisme ou, simplement,de l’hostilité au sionisme qui se développe dans certains milieux africains de France et ailleurs en Europe? Comment y situez-vous la réalité historiqued’Israël en tant que connaisseuse de l’Afrique des ex-colonies françaises ?
Shlomit Abel: Ah oui ! Il y a quelques semaines, j’ai été « gâtée » en effet par des amis africains qui développaient sur leur mur Facebook leur propre conception du conflit israélo-gazaoui. Les israéliens n’avaient plus droit au nom d' »Israéliens », ou même de « Juifs ». C’était des méchants « Sionistes », nouvelle version du Juif apatride sans droits, s’accrochant à une terre qui ne lui appartient pas, comme le Burkinabé Ouattara s’accrocherait à une Côte d’Ivoire qui lui échappe, aurais-je envie de dire ! C’est une manière de détourner le sens du mot Sionismequi est très symptomatique. Le Sionisme désigne avant tout le retour à Sion, c’est-à-direà Jérusalem, Sion étant une colline à Jérusalem dans la pensée et la prière des Juifs du Monde entier depuis 2000 ans
Les antisionistes de tout poil, et particulièrement ceux qui disent « aimer les Juifs » mais « ne pas aimer les Sionistes (israéliens) » qui ne seraient pas de vrais Juifs mais des convertis ne connaissent pas grand-chose à l’affaire. Ils citent toujours Shlomo Sand, bombardé « historien » sans en avoir la qualification, et qui n’a été propulsé sur le devant de la scène internationale que pour jouer le rôle indispensable d’idiot utile à casser le mythe biblique sur la base d’affirmations totalement fantaisistes. Mais qu’importe, ce sera toujours assez bon pour nos masses d’abrutis-sapiens…
Selon ces gens, Israël n’existerait pas. Les Juifs authentiques auraient depuis longtemps disparu. Il n’en a pas fallu davantage pour que dans toute l’Europe, les « Laïcs » – entendez athées militants fiers de leur intolérance – s’engouffrent dans la brèche et que soit mise en scène par les médias occidentaux cette touchante success-story d’un Israélien tout à fait moyen, Juif par accident.
L‘envers du décor, et cela personne ne vous le dira, c’est que les nombreuses lacunes et les grossières erreurs contenues dans son livre ont failli coûter son poste à l’heureux nouvel élu des élites intellectuelles de la médiocrité ambiante. Ses collègues tenaient trop à la réputation et à la crédibilité de leur Université pour voir associé son nom à une telle incompétence en matière d’histoire biblique et du peuple juif !
Quelques rabbins « netourei karta » vivant aux États-Unis, bien qu’en-chapeautés et de noir vêtus, ont la faveur des antisionistes, parce qu’ils refusent de reconnaître l’État d’Israël– seul le Messie ayant le pouvoir de l’établir ! Le problème, c’est que leur « hostilité à l’égard de l’État d’Israël » n’est pas récupérable dans la perspective d’un combat exclusivement pro-palestinien ou pro-iranien. L‘instrumentalisation de leur différence – qui ne sera jamais qu’une nuance sur la palette du Judaïsme – ne suffit pas à les enrôler dans le camp des ennemis du Dieu d’Israël et des promesses faites à son peuple. Pour ces « neturei karta », tout est question de timing. Ils sont aussi Sionistes que n’importe quel autre Juif croyant, tout en préconisant simplement l’ajournement de la réalisation de ces promessesÀ leurs yeux, l’État d’Israël incarne pour le peuple juif la prétention à se sauver lui-même. Or au stade actuel de son histoire, il n’est même pas en mesure de gérer à lui seul les relations avec ses voisinsD’après eux, nous vivons des temps pré-messianiques. La restauration complète de l’Israël de Dieu est encore à venir. Ce qui ne revient pas à dénier au peuple juif le droit à l’existence sur sa terre comme je le lis quelquefois.
Jean-Marc Soboth: Avez-vous déjà fait l’objet d’attaques antisémites au plan personnel ?
Bien sûr ! J‘ai déjà fait les frais de l’antisionisme primaire de la part de certains Africains qui n’ont pas un enracinement solide dans la foi au Dieu créateur et sauveur, et qui ne supportent pas une autre voix que la leur. Le Sauveur à venir c‘est un « Éternel des Armées » relooké à leur convenance, enrôlé au service de leurs ambitions. Il aurait cessé d’être le seul vrai Dieu, le Dieu d’Israël ! Je tiens seulement à rappeler qu’un tel antisionisme, qu’on le professe sur fond d’athéisme ou de foi dévoyée, n’est qu’un antisémitisme qui s’ignore. Tous les Juifs massacrés par Hitler portaient au cœur le vœu plusieurs fois millénaire proclamé à l’issue de chaque Pâque juive : « l’an prochain à Jérusalem »
Jean-Marc Soboth: Vous y croyez-vous vraiment, à l’accomplissement d’un projet divin surhumainà travers Israël? Comment est-ce possible ?
Shlomit Abel: Le seul moyen pour Israël de parvenir à l’accomplissement du projet qui le porte et qui sous-tend son existence, c’est de conquérir enfin sa totale indépendance à l’égard des puissances occidentales. Ne l’oublions pas, ce sont les cousines germaines de celles qui ont conçu et mis en œuvre le plan d’extermination du peuple juif. Affirmer que les États-Unis sont les amis d’Israël est une aberration, parce que comme le dit Laurent Gbagbo, « les États n’ont pas d’amis mais des intérêts ». Les intérêts de l’Amérique sont avant tout américains. Et si certains Juifs surpuissants pèsent aujourd’hui sur la politique américaine, cette influence ne sera jamais que circonstancielle, marquée du sceau de l’éphémère. Ces Juifs ne représentent que les intérêts du grand capital. Les avantages que l’État d’Israël peut tirer de leur pouvoir sont des avantages totalement illusoires et contraires aux intérêts fondamentaux qui sont les siens dans la perspective de son devenir. Le « asseyons-nous et discutons » du président Gbagbo c’est ce que je voudrais entendre ici. Dans la vie de tous les jours, c’est déjà une réalité : Israéliens, Juifs et Arabes, Palestiniens se côtoient et se parlent dans le tramway, se rencontrent dans les magasins. Si vous allez à l’hôpital, vous aurez de fortes chances d’être soigné par un médecin ou une infirmière arabe. Si vous construisez, vous aurez des ouvriers palestiniens
Quant à ceux qui s’imaginent que les relations entre Arabes et Juifs se règlent ici sur le mode de l’Apartheid, ils n’ont qu’à venir faire un tour dans tous les lieux ou Arabes et Juifs cohabitent : commerces, transports en commun, hôpitaux..
Savez-vous qu’Israël a deux langues officielles : l’hébreu et l’arabe, et que tous les documents administratifs sont rédigés dans ces deux langues ? Àune centaine de mètres à vol d’oiseau de ma fenêtre fleurissent d’immenses minarets dont les appels à la prière me réveillent et réveillent tout le voisinage avant l’aube. Il ne viendrait à l’idée de personne de s’en plaindre. Quant au conflit avec les territoires, avec la Palestine autonome et sous contrôle de l’OLP et du Hamas, il est exclusivement lié à la résurgence récurrente d’agressions ouvertement destinées à pousser Israël à la guerre. On sait, de source sûre, que le premier pourvoyeur en armes du Hamas c’est la Turquie, pièce maîtresse du dispositif stratégique de l’OTAN dans la région, liée à Israël par des accords de défense. Sa politique, comme celle d’Israël, est totalement alignée sur celle de Washington ! Cherchez l’erreur…
Jean-Marc Soboth: Quel est votre dernier voeuà l’intention des Africains…
Shlomit Abel: Je voudrais encourager tous les Africains et panafricains à écrire. Il y a quatre ans, je connaissais mal l’histoire de l’Afrique. Mais la crise ivoirienne m’a poussée à combler mes lacunes. C‘est là que j’ai ouvert les yeux sur la vérité d’une histoire soigneusement occultée par les programmes scolaires et les médias officiels. Il n’est jamais trop tard pour s’investir dans ce travail d’information des contemporains pour que nos enfants aient un avenir qu’ils écriront eux-mêmes, sans qu’on l’écrive pour eux. Par « on »,comprenezces autres qui font et défont les pays, pillent sans vergogne, avec le sourire. Il est encore possible d’inverser le cours du temps des décideurs. Il y a urgence.
Thomas Sankara, dans son dernier discours à la CEDEAO, affirmait que s’il était le seul à vouloir le changement, l’effacement de la dette – et donc la libération vraie des pays de la sous-région –, il ne reviendrait plus à la tribune l’année suivante. C’est ce qui est arrivé. Trois mois plus tard, il mourrait assassiné… Depuis lors, 27 ans ont passé. Aujourd’hui c’est Laurent Gbagbo qui est en prison, pris au piège d’une interminable procédure juridique qui aboutira certes un jour à sa libération, mais uniquement lorsque les maîtres de l’heure seront parvenus à leurs fins : le mettre hors jeu, vieillesse obligeant… 25 ans ont passé, rien n’a changé. Pierre Rabhi, promis à un grand avenir, aurait dû devenir le ministre de l’agriculture du pays des hommes intègres (Burkina Faso). Il n’a jamais quitté sa ferme ardéchoise, hormis des interventions ponctuelles en Afrique. Ses idées novatrices ont été soigneusement marginalisées. Seul un cercle d’initiés « ringards » ose défier à sa suite le culte du profit qui inspire le cynisme de nos acteurs politiques, pantins du grand capital et des lobbies de l’agro-alimentaire.
Il est urgent que la jeunesse africaine se mobilise, que ses innombrables élites instruites et compétentes n’aient plus peur de se lever, de se serrer les coudes. Il faut appeler tous les hommes de foi et de conviction à s’unir pour qu’enfin ce continent puisse vivre de sa terre, vivre de son sous-sol, vivre de cette culture dont l’immense richesse lui a été léguée par les anciens, ceux-là mêmes qui, à bout de souffrance, réduits au silence, attendent dans l’ombre le réveil de ces forcesvives au courage renouvelé, prêtes à se battre, y compris militairement, pour mettre à terre le colosse de la Françafrique. La bataille est risquée, face aux géants de la finance, forts de leur droit de cuissage pluriséculaire sur une Afrique nue, violée, dépouillée de son passé et de son présent.
Mais j‘ai le privilège d’habiter un pays dont le peuple a gagné son indépendance avec des bouts de ficelles, sur fond d’infériorité militaire écrasante et de diversité linguistique et culturelle rédhibitoire. Ce n’est qu’à force d’inventivité et de détermination que les Juifs, ici, ont bâti l’une des armées les plus puissantes du monde. Savez-vous qu’aujourd’hui chaque avion acheté à l’Amérique est aussitôt transformé en un avion deux fois plus performant que son modèle d’origine ? Et que les Américains ont horreur des manœuvres conjointes avec Tsahal, parce que dans tous les cas de figure d’affrontement fictif, les Israéliens l’emportent toujours ?
Ne nous y trompons pas. L‘Occident reste le plus grand pourvoyeur d’opiums en tous genres, pour mieux faire oublier son projet d’anéantissement par étapes des nations africaines. La foi, la vraie, c’est celle qui s’incarne dans les gestes concrets dictés par l’esprit de résistance à l’innommable. Telle est la signature du seul vrai D.ieu, Créateur des Africains à Son image, et non de figurines à l’effigie des Césars de Paris, Londres ou Washington !
Par Jean-Marc Soboth