Guido Ceronetti dans Le silence du corps :« La caresse vient comme le vent, elle ouvre un volet, mais elle n’entre pas si la fenêtre est fermée ».
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À La Désirade, ce dimanche 23 novembre 2014. – En retrouvant ma bonne amie, notre maison au bord du ciel et ma table de travail, je me dis, après Venise, que je suis au top du privilège en dépit de mes difficultés de souffle et de circulation me rappelant que j’ai l’âge de mon père en sa dernière année de vie. Céline aussi avait 67 ans quand il a rendu les armes, après une existence évidemment mille fois plus éreintante que la mienne, où il a brûlé sa grande carcasse et ses cartouches sur tous les fronts de la guerre et de la médecine, des livres et de l’hygiénisme idéologique mal barré. J’aurai fait douze ans de plus que mon pauvre frère, personnage de roman, du pur Simenon. Notre Grossvater de Lucerne a été le record de la famille : il faudra que je vérifie le chiffre exact, mais pas loin de 90. Aucune précision de ce côté dans le cahier noir de ma mère. Mais nous avons tout ça quelque part dans notre capharnaüm, que j’ai d’ailleurs décidé de mettre en ordre ces prochains jours. Ce qu’attendant je note que Cendrars est mort à 74 ans, comme Maître Jacques, Cingria à 71 ans, Bouvier à 68 ans et Czapski à 97 ans…
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Guido Ceronetti, citant Joubert : « Le pathétique outré est pour les hommes une source funeste d’endurcissements », et d’enchaîner :« Depuis deux cents ans de folles images de la souffrance sont lancées par tous les moyens sur les foules afin de déchaîner leur capacité d’en produire de pires. Les guerres et les révolutions de ce siècle sont en grande partie l’effet de « tableaux » de la souffrance humaine capables d’exciter l’inhumanité la plus complète. Une photographie vue un matin dans le journal peut faire surgir du néant un chef fanatique de tueurs ».
Exactement ce qui se passe avec les images abjectes de décapitations dont se repaissent ces jours certains yeux avides.
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Or, comme nous nous étions déjà livrés à cet exercice, dont il avait tiré une page très généreuse à mon départ en retraite, notre rencontre de cet après-midi aux Trois-Couronnes de Vevey n’a été que la suite de notre conversation, lancée par des questions précises liées à ma condition de présumé retraité, à notre façon d’assumer notre liberté avec Lady L., à ce que représente toujours pour moi la lecture et l’écriture, assez loin de la vie littéraire tout ça (et tant mieux) et plutôt en phase avec la vie actuelle, Venise et les enfants, notre grand voyage de l’an dernier et les aléas de l'existence.
Au cours de la conversation, mon confrère m’a demandé pourquoi, somme toute, j’écrivais, si c’était pour la gloire ? À quoi je lui ai répondu que pas du tout, avant de me reprendre pour préciser que, bien sûr, tout écrivain rêve d’être lu, et si possible de plus de trois pelés. Je lui ai dit aussi que j’étais très content pour un Joël Dicker de son phénoménal succès, que je n’ai jamais recherché pour ma part - sinon j’aurais fait d’autres livres ; je lui ai dit que je me sentais tout à fait étranger à l’actuelle mentalité Star Ac, faite de compétition à tout crin, mais à présent que j’y repense je me dis que la gloire, pour moi, ce serait, au lieu de « cartonner » le temps d’une ou deux saisons, d’être lu avec attention et reconnaissance par quelques lecteurs, dans dix ou cent ans, comme nous cultivons la mémoire de tel ou tel auteur peut-être méconnu de son vivant mais qui survit alors que tant de gloires d’un jour sont oubliées – tout cela très relatif évidemment, et je m’en balance à vrai dire – ma joie d’écrire fait seule foi pour moi.
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Jules Renard : « Il faut écrire comme on parle, si on parle bien ».
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Or lisant Le Califat du sang d’AlexandreAdler, je vois bien que la dérive des extrémistes, qui se massacrent d’ailleurs entre eux, n’a pas plus à voir avec l’islam (quoique…) que les purges staliniennes n’avaient à voir avec la théorie marxiste (quoique…) même si les justifications des uns et des autres se réclament de la même« pureté » et se retrouvent dans la même fuite en avant dopée par le goût du sang et l’appât du fric.
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Gregorio Marañon dans Soledad y Libertad : «Aucun de nos remèdes, à nous pauvres médecins, n’a le pouvoir merveilleux d’une main de femme qui se pose sur un front douloureux ».
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Ce jeudi 27 novembre. – Je me demandais comment Philippe Dubath allait reconstruire notre longues conversation de l’autre jour, et c’est avec soulagement que j’ai découvert la DER de 24 Heures ce matin, avec un portrait photographique de Chantal Dervey qui me fait un peu vieux chien grave (ma bonne amie va encore soupirer), mais j’assume, et un texte amical mais sans lèche, joliment évocateur de la vie que nous menons, Lady L. et moi, à cela s’ajoutant un sourire en passant à nos « filles merveilleuses ». J’aime bien, pour garder un peu de distance, que Dubath relève ma « vraie fausse modestie », et ne suis pas fâché que divers thèmes « profonds » aient passé à l’as, comme on dit. Ce qui est sûr, c’est que je m’y reconnais dans les grandes largeurs et que je suis reconnaissant à mon confrère d’avoir si bien rendu le ton de notre échange.
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À La Désirade, ce samedi 29 novembre. – Le paysage est ces jours, en fin de journée, d’une indescriptible beauté. Ce soir encore la mer de brouillard coupe littéralement« le monde » en deux. Et jamais l’expression n’a été aussi juste : la mer de brouillard.
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Jules Renard : « La poésie m’a sauvé de l’infecte maladie de la rosserie ».