Certaines circonstances m'ont amenées à m'interroger sur le type de lecteur que je suis. Finalement, si lire paraît être une activité très naturelle, il existe pourtant autant de manière de lire que de lecteurs. Que lit-on ? Où lit-on? Pourquoi lit-on? Autant de questions que l'on ne se pose que rarement.
Le hasard a donc voulu que je sois amené à me poser ces questions. En outre, je venais de lire une tribune de Neil Gaiman sur l’importance des bibliothèques (dont voici une traduction française) qui m’a rappelé un autre de ses textes (son discours lors de la remise de la médaille Newbery repris en postface de The Graveyard Book/L'étrange vie de Noboby Owens) qui m'avait fortement plu.
Il y parle magnifiquement de l’importance de la fiction, et exprime avec talent et passion ce que je ressens moi-même face à la lecture. Je pense que la lecture est primordiale. Mais il n'existe pas pour moi de hiérarchie dans la lecture. Souvent, on lit des jugements sur les lectures. Certaines lectures seraient "bonnes". D’autres "mauvaises", comme cette tribune assez atterrante.
J'ai juste envie de répondre... bullshit
Pour moi, lire est avant tout une source de plaisir. Mais il existe une infinité de formes de plaisir, allant du "simple" divertissement à la satisfaction d'apprendre quelque chose de nouveau. Chaque livre peut donc se révéler une source de plaisir, mais un plaisir unique, qu’on ne peut hiérarchiser.
Un “bon” livre peut être infiniment moins satisfaisant qu’un petit polar sans prétention mais avec suffisamment de tripes.
Chaque livre trouve sa justification dans le fait qu’il existe, quelque part, un lecteur à qui il est destiné, à qui il pourrait changer la vie.
Chaque livre nous construit.
La lecture est un voyage.
Chaque livre est une étape.
Il n’y a pas de destination.
Juste un voyage sans fin, que l’on fait à son rythme.
Selon son bon plaisir.
On choisit son moyen de locomotion. On en change à son gré. On s’arrête pour observer un paysage. On peut avoir envie de s’attarder, voire rebrousser temporairement chemin.
Mais chaque livre, chaque pas, peut vous entraîner n’importe où.
La bande dessinée serait une sous-lecture sans intérêt?
La science-fiction une perte de temps?
J’ai lu ma part de “mauvais” livres. Mes mauvaises lectures m’ont pourtant amené à des découvertes fascinantes.
C’est parce que je lisais assidûment Philip K Dick, bien avant qu’il ne soit reconnu comme un grand auteur américain injustement mésestimé, que je me suis intéressé à cette biographie qui venait de sortir, signée par un certain Emmanuel Carrère. J’ignorais qui était cet auteur (en fait, je savais qu'il était le fils d'Hélène Carrère d'Encausse dont mes parents possédaient un essai sur l'URSS). Quelques années plus tard, j’ai été intrigué de voir son nom sur d’autres livres. J’ai acheté "La classe de neige", me rappelant cette excellente biographie. Ce fut un coup de foudre.
Mais sans Philip K Dick, l’aurais-je découvert ?
C’est en lisant la défunte revue Pavillon Rouge (éditée par Guy Delcourt) que j’ai été attiré par un livre qui bénéficiait d’un court article en dernière page: la jeune fille suppliciée sur l’étagère, d’Akira Yoshimura. Je l’ai lu et adoré, découvrant un des auteurs japonais vraiment fascinant. Je ne vois pas comment j'aurais découvert Akira Yoshimura autrement.
J’ai découvert Jean Teulé par ses activités télévisuelles et ses bandes dessinées avant de lire ses romans.
Pour Jacques Abeille, ce fut grâce à sa collaboration avec François Schuiten. François Schuiten que j’ai découvert en écumant la section BD du centre de lecture publique d’Antoing, à l’époque très orientée “jeunesse”. La lecture de la Fièvre d’Urbicande fut alors un choc, me faisant suivre ces auteurs..
J'étais fasciné par les illustrations. parmi les récits, j'avais gardé le souvenir d'une étrange histoire, Gabriel-Ernest, signée d'au auteur au pseudonyme mystérieux: Saki. Bien des nnées plus tard, à la recherche de livres pour les vacances, je suis tombé par hasard sur Reginald, du même Saki. Nostalgique, je l'ai acheté. Cela m'a permis de découvrir un auteur à la plume acerbe, entre Maupassant et Oscar Wilde.
J’aime les mauvais lectures. Parce qu’elle me donnent de plaisir.
Parce que, grâce à elles, j’ai découvert d’autres lectures, bonnes ou mauvaises, que je n’aurais peut-être pas découvert autrement.
Sans Akira, je n'aurais sans doute pas découvert Jiro Taniguchi et "le journal de mon père". Je n'aurais alors pas tenté sa série "Au temps de Botchan", et je n'aurais pas eu envie de découvrir les romans de Natsume Soseki, qui m'ont servi de porte d'entrée pour la littérature japonaise et des auteurs comme Osamu Dazai ou Yukio Mishima...
Prendre son temps et se laisser porter.