9 décembre 1914
Chère et bonne Cécile,
Nous ne sommes pas aux tranchées , aujourd’hui, mais en réserve, dans un village récemment bombardé . Nous avons trouvé dans l’ensemble de l’immeuble une pièce dans laquelle il ne pleut pasmais don’t tous les carreaux ont volé en éclats. J’ai fait coller du papier, on ne sent plus le vent ni la pluie, mais on n’y voit plus guère.
Nous traversons une période de pluie et mon dieu soleil nous fait grise mine , mon autre soleil, tes lettres en font autant, mais je prends patience, une réserve va m’arriver, je sais qu’il y a du retard à la suite d’un accident du chemin de fer.
Cette pluie en ce pays ravagé avec ses chemins infects, a quelque chose d’attristant, il faut faire quelques efforts pour réagir et surtout pour relever le moral des gaillards qui nous sont confiés, il est généralement bon mais il faut l’avouer, le caractère français est versatile, son découragement toutefois ne va jamais jusqu’à la mauvaise action. Du reste “la mauvaise action” est difficile à commettre en ce moment. A 70 m les uns des autres, on se regarde, mais personne ne bouge, et je suis certain que le moindre effort trouverait l’ennemi inerte et avachi. Malgré ces vicissitudes , l’immeuble est bon. Quelques maladies dues au refroidissement, à l’humidité, il est vrai mais rien de grave. En ce qui me concerne, toujours solide comme le pont neuf, appétit et digestion à donner modèle à un chronomètre.
J’aurais voulu écrire longuement à Robert, mais je suis trop mal installé, ce sera pour ces jours ci. On nous avait promis repos, c’est à dire cantonnement dans un pays non ravagé mais il y a contre ordre. Tous les services, alimentation… etc continueront à marcher à merveille, mais des choses les plus nécessaire manquent parfois, ainsi, par exemple on ne trouve pas d’oignons, il faut s’en passer car on ne peut tout de même pas faire revenir des oignons de France. Les pommes de terre ici ne manquent pas, on élève beaucoup de cochons, et comme les habitants sont partis, les porcs s’en donnent à cœur joie, les champs en sont pleins. Aussi on voit presque autant de cadavres de cochons que de prussiens. Ce matin j’entendais un homme réclamer du savon. Du savon, mais oui, c’est utile, mais encore faut il songer, prévoir qu’il faut en demander… etc…
Voilà la vie ici, il fait trop sale pour trouver les choses drôles , attendons le soleil.
Oh Tourelle de Maréville!!! À quand ?
Je t’embrasse chérie bien tendrement à demain, si la journée nous apporte le gite et le temps ou la paire. Amitiés à tous.
J.Druesne
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9 décembre 1914 (JMO du 37e RI)
Sans changement. Des relèves furent faites dans les bataillons de 1ere ligne pour faire alterner les compagnies.