Ma première impression, en sortant l’autre soir de la projection de Marie Heurtin, était d’avoir vu un beau film pur et doux abordant, avec grand soin de véracité documentaire autant que d’organisation esthétique, l’histoire assez exemplaire de la prise en charge sacrificielle, par une religieuse gravement atteinte dans sa propre santé, d’une jeune sauvageonne doublement affligée de surdité complète et de cécité, dont les parents ne savaient trop que faire pour son développement, jusqu’au moment où une certaine sœur Marguerite, attachée à une institution religieuse accueillant les enfants sourds et muets, parvienne à convaincre la mère supérieure, d’abord opposée à cela, de s’en occuper personnellement.
Comment ne pas être touché par une telle histoire ? Comment ne pas s’incliner devant une réalisation aussi probe d’apparence, d’une pureté quasi janséniste, sans une once de la critique systématique qui doit aujourd’hui frapper toute évocation d’une institution catholique ? Comment ne pas louer une œuvre d’aussi bonne intention ne montrant que de belles personnes ?
Or, à me rappeler ce film dont j’ai bientôt constaté qu’il ne m’avait guère marqué en profondeur, j’en suis venu à me demander ce qui, tout de même, m’avait manqué là-dedans ?
Comment dire ? Peut-être quelque chose de physique en premier lieu ? Peut-être un manque de chair ? Peut-être un manque d’odeur, de fruit et de bête, comme on dit ? Ou peut-être un manque de défauts ? Peut-être un manque de folie ? Peut-être trop bien repassées ces jolies blouses bleues des pensionnaires des Filles de la Sagesse ? Peut-être top bien peigné tout ça ?
Je n’aime guère, s’agissant d’un ouvrage de si bonne intention, dans lequel le réalisateur et les interprètes ont sûrement mis le meilleur d’eux-même, jouer le gâte-sauce.
Mais tout de même : m'a manqué de ressentir vraiment, en premier lieu, la terrifiante condition de Marie enfermée dans son cachot de nuit et de silence. M'a manqué, dans l’évolution de son apprentissage, même décrit avec application (la longue et un peu fastidieuse relation de son acquisition du premier mot-concept de couteau), autant que dans les réactions de sœur Marguerite et des autres pensionnaires, de ressentir vraiment les hauts et les bas vécus durant ces années par Marie et son entourage, tout le rugueux, le réel chancelant, les suprises (aucune surprise réelle dans tout le film), bref le souffle de la vie dans ce tableau par trop cadré et par trop parfait…