11 décembre 1914

Publié le 09 décembre 2014 par Christinedb

Boesinghe 11 décembre 1914

Ma bonne et chère Cécile,

Mais oui, m’y voici revenu après avoir été bien au-delà et je retrouve mon Boesinghe bien calme, exempt de boulets depuis plusieurs jours, les prussiens ayant déblayé le terrain de ce coté. Je ne suis plus au château, mais dans une jolie chambre d’une brasserie où je vais goûter 2 ou 3 jours de repos bien mérité je te l’assure.

Comme je le supposais, le courrier d’hier m’a apporté les deux lettres précédant celles  dans lesquelles tu me faisais part de ta mission chez Guery. Je leur écris ce matin pour leur donner quelques explications hélas bien inutiles sur l’emplacement de leur fils. Pense un peu de quelle façon sont enterrés ces malheureux quand ils ont encore de la chance de l’être . Que pourra t-on retrouver de tout cela dans plusieurs mois?

Je sais bien que je tiens un langage auquel d’ailleurs j’étais loin d’être habitué mais quand on a vécu dans une tranchée dont la fenêtre donne sur la figure de malheureux habillés en allemands ou en français étendus depuis de longs jours dans un sillon de champs... Je ne te dépeins pas plus longtemps ce spectacle pour ne pas poser à l’homme qui a tout vu, mais je te répète, quand il a été donné de contempler pareilles choses, les formalités ou futilités mondaines s’effacent, s’écroulent , s’effondrent et est-ce un blasphème ? Le corps, la charogne d’un être humain est peu de chose..

Mais ma chérie  assez sur ce lugubre spectacle! Et parlons d’autre choses: tiens de ce beau-frère à Blampain, c’est encore malheureusement une tristesse à conter. Ce malheureux caporal à la 6e Cie a été tué ici aux environs, il y a une quinzaine de jours. Il était dans une tranchée allant en pente et dont la partie élevée était du coté de l’ennemi. Ce coté était signalé comme dangereux et tout le monde le savait, pourquoi en un moment de folle gaminerie malgré les conseils de ses camarades voulut-il enjamber la palissade? Folie, folie dis-je, ils ont tous la même insouciance imbécile. Il enjambe donc le talus pour aller chercher de la paille. Il l’avait et revenait avec 3 bottes quand en arrivant au point que je viens d’indiquer, il reçut une balle dans le dos ou le coté qui l’étendit raide mort. C’était en plein jour, il fut enterré je crois. Les hommes témoins de cette affaire, restant vivants ou présents n’étant pas facile à trouver. C’est que nous ne sommes pas ici comme à la caserne, le régiment est très étendu et nous sommes parfois 15 jours sans nous voir réunis et encore réunis, on ne tient pas dans un village. Présente bien mes condoléances à Mme Blampain et toi ma chérie à qui je voudrais conter tous ces faits non d’héroïsme, ce n’en est pas, mais de folles témérité, tu ne t’étonnerais pas du nombre de victimes. Un homme bien abrité à la tranchée, à 70m de l’ennemi est moins en péril qu’un gourmand qui rode autour de la cuisine avec sa gamelle 4 km plus loin. Est ce que cela t’explique aussi la chance de ton prudent mari qui a saisi dès les premiers temps, cette inutilité de se faire voir sans motif et ne crois pas que pour agir ainsi le service en souffre, non au contraire.

Mais parlons encore d’autre chose. J’ai bien reçu je te l’ai dit, tout ce que tu m’as envoyé genouillères, manchettes. Ne m’envoie plus rien, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai des chemises et caleçons plus chauds que ceux que j’ai emportés, j’ai le sac de Gustave, j’ai ma couverture, tout cela est lourd, mais pour ne pas avoir froid la nuit et j’y réussis, je ne crains pas de porter lourd le jour.

Je te remercie de tous les détails contenus dans tes dernières lettres, tant sur Maréville que les environs de Nancy, mais un mot me frappe: tu me dis que Blamont est encore Allemand, le les croyais chassés de la frontière de ce coté là?

C’est tout ma chérie, comme je te le dis, j’ai encore deux jours de tranquillité à passer ici, d’ici là qu’y aura t il? On dit que le 4eme bataillon de chasseurs est embarqué, la 39e division de Toul aussi, pour où? Est ce vers l’Est?  Je serai content de me rapprocher un peu. J’aime bien la Belgique mais pas comme ça. L’eau est trop près du sol. Il est vrai que quand je suis venu ici avec toi, ce n’était pas pour gratter la terre pour voir s’il y avait de l’eau dessous. J’avais mieux pour me coucher à Bruxelles, pour ma fois savez-vous!! Allons chérie, je cesse, mille baisers bien tendres à Loulou à Robert, caresses.

Si je ne suis pas occupé ce soir, je lui écrirais longuement sinon ce sera pour demain.

Mille baisers encore et amitiés à tous.

J. Druesne

Je reçois à l’instant ta courte lettre du 30 oui reçu tout. Embrasse.

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11 décembre 1914 (JMO du 37e RI)

Sans changement.

Cartographie du 11 décembre 1914