À propos de deux articles du très regretté Simon Leys, sur Malraux et sur Bernard-Henri Lévy.
Il est peu d’essayistes contemporains en matière littéraire et politique, et pratiquement aucun en langue française, dont je me sente aujourd’hui plus proche que de Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, hélas décédé en août dernier.
De fait, chaque page que je lis ou relis de lui, comme ces jours les essais de L’ange et le cachalot, me captivent à la fois par leur substance, la liberté de ton de l’auteur et sa voix, plus encore par sa hauteur de vue sans condescendance et son ouverture aux cultures les plus diverses. Ainsi est-il aussi à l’aise en évoquant les œuvres de Stevenson ou de Simenon, de Michaux ou de D.H. Lawrence, de Gide ou de Victor Hugo, qu’en parlant de Confucius ou du Grand Timonier, d’Orwell confronté à l’horreur de la politique ou de Malraux le mythomane accommodant l’Histoire à sa sauce perso.
Je retrouve assez exactement, à travers les critiques formulées par Simon Leys à propos des œuvres et des postures de l’homme à la mèche rebelle et aux tics affreux, autant que dans sa reconnaissance du génie singulier de ce grand fou, tout ce que j’ai éprouvé en observant le personnage par médias interposés (son inénarrable hommage funèbre à Le Corbusier, entre tant d’autres exemples) ou en lisant La Condition humaine et L’Espoir, avant les Antimémoires et le Musée imaginaire dont je suis content de constater que Simon Leys, comme souvent je l’ai pensé, n’y voit qu’un pillage de l’immense Elie Faure jamais cité par ailleurs
Comme l’ont avéré divers biographes sérieux, et parfois en phase sympathique avec leur sujet, le récit que fait Malraux de sa rencontre avec Mao (moins d’une demi-heure avant de se faire poliment éconduire, alors qu’il parle d’une sorte de long dialogue au sommet), relève du même type d’affabulation gonflée que ses hauts faits en Espagne, que les témoignage de George Orwell ou d’Arthur Koestler ramènent à leur piètre dimension.
En ce qui concerne les œuvres de Malraux, Simon Leys cite les jugements carabinés de grands contemporains de Malraux, à prendre évidemment avec un grain de sel.
Ainsi de Vladimir Nabokov, par ailleurs connu pour la fréquente injustice de ses jugements (un Gore Vidal a justement dégommé le prof par trop pontifiant réduisant par exemple Faulknerà du pop corn), mais dont une métaphore ferroviaire vaut la citation :«Depuis l’enfance, je me souviens d’une inscription en lettres d’or qui me fascinait : Compagnie internationaledes Wagons-lits et des Grands Express européens. L’œuvre de Malraux relève de la Compagnie internationale des Grands Clichés »...
Ou Jean-Paul Sartre :« Malraux a du style. Mais ce n’est pas le bon ». Ou encore à propos de La condition humaine, déclarant à Simone de Beauvoir que la chose est « entachée de passages ridicules » et d’autres « mortellement ennuyeux ».
À la décharge de Malraux, après avoir constaté que « notre âge aura été jusqu’au bout celui de la Frime et de l’Amnésie », Simon Leys reconnaît à l’écrivain « du génie », non san bémol cruel : « Mais le génie de quoi exactement ? On ne sait pas trop ».
Relevant enfin la fascination prodigieuse exercée par André Malraux sur tous ceux qui l’ont approché, à commencer par les femmes, - dont la première fut particulièrement malmenée quoique consentante -, Simon Leys constate que l’illustre ministre de Charles de Gaulle, pas plus dupe que d’autres (« Bah, Malraux est fou, mais il amuse le Général »), avait au moins pour lui ceci : il « pouvait être visionnaire et ridicule, héroïque et obscur – il ne fut jamais médiocre ».
Et pour conclure en semblables nuances : « Aujourd’hui, il est difficile de le relire à froid : ses écrits nous paraissent pompeux, confus, creux, obscurs et verbeux. Mais chaque fois que nous sommes remis en présence de sa persionne (…) quelque chose de sa magie légendaire opère ».
Simon Leys. L’ange et le cachalot. Seuil, 1998. Réédité en poche.
Simon Leys contre BHL : dans les Ecrits sur la Chine, Une excursion en Haute Platitude. Bouquins, Robert Laffont, 2012.