Je joue actuellement à un super-jeu d’écriture d’un feuilleton embrassé, dénommé Matriochkas. Kesskecé ? Une personne écrit le chapitre 1, une autre le 2 etc mais, ô joie et difficulté, en alternance, quelqu’un d’autre écrit le chapitre de fin, puis un autre encore l’antépénultième, etc jusqu’à se rejoindre… au centre. Un genre de cadavre exquis, mais plus subtil.
A me relire, je trouve ces explications incompréhensibles… Allez donc voir là , ce sera plus clair.
Et en attendant, goûtez du Crime parfait !
Sofia aimait se faire confiance. Dotée d’une solide intuition, elle fonctionnait à l’instinct, ce qui était à la fois une force et une faiblesse, à savoir : elle était spontanée, mais réagissait sans trop réfléchir et parfois, ça lui jouait des tours. Debout immobile dans l’entrée de son appartement, les clefs dans une main et le portable dans l’autre, elle tentait de faire le point sur les derniers événements.
Elle avait tué cet idiot sous le coup de la colère. En cour d’Assises, elle pouvait plaider le crime passionnel. Enfin… presque car un enquêteur un peu malin pouvait deviner, voire prouver qu’elle savait parfaitement quel curieux personnage était Stéphane. Il lui suffirait de mettre la main sur ses multiples téléphones portables, tracer les appels, retrouver une ou deux pauvres filles empêtrées dans sa toile d’araignée pour comprendre que l’une d’entre elle, au moins une, avait découvert l’écheveau et mis fin d’un coup, dans le sang et la violence, à toutes les vies de cet aventurier de l’oreiller.
Elle se dirigea lentement vers la cuisine. Se faire un petit thé allait l’aider à réfléchir. Le film se déroulait une énième fois devant ses yeux : le dîner en amoureux, la discussion qui s’envenime, la gifle, la fourchette à gigot qu’elle empoigne et qu’elle plante, de toute sa force, dans la gorge de Stéphane, une fois, deux fois… Le sang qui coule. Tout ce sang… Elle en est à nouveau écoeurée. Ecoeurée des borborygmes de Stéphane à l’agonie, écoeurée de ses yeux qui la fixent sans comprendre. Il avait tenté d’arracher l’instrument de ses deux mains malhabiles. Son sang avait noyé les empreintes de sa meurtrière. C’est lui, cet imbécile, qui lui avait donné l’idée de s’en sortir. Oui, on trouverait trace de sa présence, les reliefs du repas, mais elle risquerait le tout pour le tout et jurerait être partie avant le drame. Avant le dessert, demeuré intact sur la table de la cuisine.
Mue par une impulsion, elle fit semblant de poursuivre la dispute. Elle avait dans l’instant attrapé son imper et était sortie en claquant la porte, lançant un sonore « t’as plus qu’à l’appeler, ta pétasse, mais moi, c’est fini, fini ! » Elle avait dévalé l’escalier bruyamment. Sa voiture, garée en face, l’avait rapidement ramenée chez elle où elle s’était changée. Elle avait mis quelques affaires dans un sac et, en jean et tee shirt, sa perruque de cheveux rouges coiffés en brosse bien fixée sur la tête (quelle bonne idée de ne jamais rien jeter, pas même les déguisements des bals masqués de sa jeunesse) elle était revenue sonner à la porte de Stéphane. La clef discrètement introduite dans la serrure lui avait permis d’entrer. Vu d’un éventuel œilleton voisin, il semblait que Stéphane lui-même avait ouvert la porte. Un « bonjour mon chéri » à la cantonade, ses bras levés enlaçant un fantôme, le tour était joué.
A l’intérieur, elle n’avait touché à rien, se contentant de faire quelques allers retours dans le salon, histoire d’imprimer les semelles de ses basquets sur la moquette. Avec un peu de chance, la police scientifique relèverait la présence d’une troisième personne dans la pièce ce soir-là.
Vers 3 heures du matin, quand la ville dort de son plus profond sommeil, elle s’était glissée en douce hors de chez Stéphane et, plus furtive qu’un chat, avait quitté l’immeuble. A pieds, lentement, elle était rentrée dans son quartier. Assise dans un renfoncement de porte cochère discret, elle avait attendu 7 heures du matin, l’ouverture de la piscine. Quelques longueurs de bassin salvatrices et décontractantes et elle avait regagné le vestiaire. Sa perruque et ses vêtements de la soirée roulés dans un sac poubelle, elle était ressortie, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, jean, tee shirt et baskets presque semblables. Les éboueurs, un geste désinvolte pour jeter le sac dans la benne, le gong sonnant la fin du match avait résonné dans sa tête. D’où sa surprise de trouver le portrait de Stéphane dans le journal, aux côtés d’une femme en larme portant exactement la même robe blanche qu’elle, cette robe disparue il y avait à peine dix minutes dans la camion à ordures. Stéphane n’était-il qu’évanoui, cette nuit ? Possible, mais rien n’expliquait la présence de cette pleureuse…