Nuit du 14 au 15 décembre
Ci-joint la lettre dont je te parlais hier.
Chère et bonne Cécile,
Je viens de recevoir tes deux lettres du 5 et du 6 ainsi que celle de Loulou. Je ne retiens que celle du 5 ou tu parais si éplorée des fonctions qui me sont confiées. Tu t’alarmes à tort, je te le répète et rien dans ma lettre ne pouvait te causer ces inquiétudes.
Il ne faut accuser que le hasard ou plutôt le louer et aussi la prudence née peut être d’un esprit militaire comme celui que je crois avoir, de ce que je n’aie reçu jusqu’à ce jour que des égratignures. Je suis à la guerre, je ne te crois pas assez naïve pour penser que tu te figures que parce que je porte le Drapeau, je sois à l’abri de tous dangers. Il est bien des accidents que je n’ai pas cru devoir te signaler pour ne pas te contrarier outre mesure et qui te prouverait que je n’en suis pas exempt. Dès le début tu le sais, c’est le capitaine Greff secrétaire du colonel qui fut tué cependant j’étais plus près de l’ennemi que lui et aussi peu abrité.
Non, Chérie, ce qu’il faut admettre, c’est la bonne étoile, la chance qui n’a cessé de me sourire depuis que j’ai le bonheur de te connaître. Que veux tu, c’est un fait et il faut l’admettre. Puis les combats, et on les esquive de part et d’autre, deviennent moins meurtriers, beaucoup moins. Cette défense à outrance en tranchées nous a fait du bien, elle est venue trop tardivement.
Toutes ces raisons font ma Chérie que les chances d’accidents sont plus éloignées que jamais et que nous n’avons plus qu’à laisser le sort se jouer. Sincèrement j’aurais dû accepter les galons de capitaine et comme tu le supposes, je serais commandant. C’est là le poste de tout repos et à part quelques audacieux du début, les vacances qui existent appartiennent à des galons à bouts.
Une seule chose pourrait peut-être te causer une inquiétude, c’est ma santé, or, je te le répète, elle est de fer. J’ai subi toutes les épreuves, chaud, froid, fatigue, faim même, je n’ai jamais rien ressenti et je te l’ai déjà dit, on m’a répété à différentes reprises que j’étais étonnant. Il y a quelques jours encore, le colonel me félicitait de ma figure superbe.
Mais ma chérie, assez sur mon compte, chasse encore une fois ces craintes chimériques, partage mon espoir si nous ne devions pouvoir rien changer aux événements à quoi nous servirait de nous avoir fait du chagrin à l’avance.
Que je puisse continuer à ne pas douter que j’ai laissé là-bas une femme aimante, douée de toutes les qualités qui ont assuré ma quiétude et mon bonheur, que je puisse continuer, dis-je à la savoir capable d’affronter toutes les circonstances, mais que je ne la sache pas craintive et apeurée, mais forte et tranquille. Je serais le plus heureux des hommes et cela me sera le meilleur confort et le meilleur porte bonheur qu’il en soit ainsi ma bonne Cécile, je t’en prie.
Moreau, l’officier qui a tracé sur la carte l’endroit ou on a été assez heureux d’enterrer Raymond est l’ancien sergent major de la 4e du capitaine Chavalier et adjudant de cette même compagnie. Embrasse bien la famille Guery quand tu les verras, dis leur bien toute mon admiration pour leur grand courage, la simplicité et la grandeur de leur moralité. Oui ils sont de braves gens auprès desquels de plus huppés auraient à apprendre.
Embrasse tout le monde et Eugénie et encore une fois pas de bile N... de D...
Ton vieux dur à cuire
J. Druesne
Non je ne dépense pas grand chose, le mois prochain sera même meilleur encore.
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14 décembre 1914 (JMO du 37e RI)
Dans la nuit du 13 au 14, une tentative d'attaque fut faite par les allemands sur le front du 1er sur la compagnie de gauche (3e). Cette attaque fut repoussée.