15 décembre 1914, En tranchée humide
Mon gros Robert ,
Je t’ai écrit cette nuit et je ne pensais pas pouvoir le faire plus longuement de sitôt. Je suis en tranchée et mon poste de commandement se trouve dans la cave d’une maison démolie située juste entre le groupe de nos tranchées. Car tu l’as deviné mon chéri, je commande une compagnie depuis plusieurs jours déjà et à toi aussi je voulais le cacher. Non parce que cela ne me plait pas, au contraire, c’est un rêve que j’ai caressé longtemps d’être capitaine, c’est à dire d’avoir l’administration d’une compagnie. Est ce plus dangereux ? Non, si on a l’expérience que je crois avoir acquise et surtout si on considère que les attaques un peu déraisonnés d’antan ont cessé et que cette guerre de tranchées change tout. Seulement le hic, c’est maman. Il faut à tout prix lui cacher cela, car elle se fait une idée très arrêtée à ce sujet. J’avais tâté le terrain, fait entrevoir que la pénurie d’officier pouvait obliger le colonel à me changer de ma sinécure de P.D., j’ai reçu une lettre désolée.
Cependant la mission qui m’a été confiée est indiscutable, je suis à cent lieues de la discuter, et j’ai accepté, en soldat, en honnête homme, je ne pouvais continuer à accepter que par condescendance, le colonel prêt des non valeurs alors qu’il savait trouver en moi, l’homme qu’il lui fallait. J’ai du accepter comme il le fallait à son idée, car il a parlé de récompense. A cela je dois ajouter, ce que je te prie aussi de cacher ça à maman, que j’ai eu une 2ème blessure, mais presque aussi insignifiante que la 1ère. Au même endroit, au mollet, une balle perdue, c’est à dire à fin de parcours, m’a frappé à plat. Je n’ai pas trop souffert sur le moment, mais quand j’ai marché, quelques jours après, des vaisseaux du mollet rompus, ont fait irruption à fleur de peau. C’est du moins l’explication que j’ai cru comprendre. Le major voulait m’évacuer sur un dépôt d’éclopés. J’ai énergiquement refusé, puisque je peux tenir.
Aujourd’hui ça va mieux, c’est encore sensible, mais j’éprouve moins de difficultés pour marcher. Le médecin m’a fait faire un certificat d’origine de blessure pour mes deux affaires. De sorte que toutes bénignes qu’elles sont, ces 2 blessures seront portées sur mes états de service comme si j’avais eu le ventre traversé, or je n’ai pas ou peu perdu de sang. Encore une de ces chances qui me sont familières.
Et tu voudrais qu’il m’arrive malheur ? Non, je suis nickelé.
En résumé, j’ai fait mon devoir, je suis satisfait, mais reste la question maman. Il ne me reste qu’à lui cacher, mais j’ai pensé qu’il convenait de te tenir au courant. J’espère que tu constates de là-bas qu’il n’y a rien de sérieux et que rien n’est changé au point de vue danger, je te l’assure.
A part cela rien de neuf, je crois qu’un gros mouvement va se dessiner : les anglais attaquent à gauche, les marins à droite, nous qui sommes au centre et on avance, nous n’avons qu’à marquer le pas et ramasser les baïonnettes. Nous ferons cela comme le reste. Allons, dis moi que tu m’as compris et, pas de bile.
Je t’embrasse bien fort
J.Druesne
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15 décembre 1914 (JMO du 37e RI)
Le soir le bataillon de Pilkum vient relever le 1er bataillon qui se rend à Boesinghe en réserve de Division.