Magazine Journal intime

20 décembre 1914

Publié le 17 décembre 2014 par Christinedb

20 décembre 1914

Chère, chère et bonne Cécile,

Permets moi de t’écrire au crayon, ma chérie, je suis dans une de ces tranchées dont on parle tant. Je ne suis pas bien éclairé, cependant j’ai une lampe à pétrole, oui, à pétrole, de ce liquide introuvable, seulement le verre de ma lampe n’est pas propre et si j’écris au crayon, c’est pour mieux suivre les lignes et puis au crayon, les mots sont écrits aussitôt qu’ils sont songés et c’est si bon de dire ce que l’on pense, à un être cher dès qu’on l’a songé.

Je te disais donc ma Chérie que j’étais dans une tranchée non loin du lieu où fut tué Raymond et que je ne puis cependant préciser car il faut que Moreau me l’explique et entre bataillons, on se voit rarement.

Tu as entendu parler des tranchées, certes tout n’y est pas rose. Les ruisseaux coulent à fleur de sol, on ne peut donc les creuser profondes. En une nuit l’eau arrive, qu’est ce bon Dieu! quand il pleut, mais (tu vas m’appeler bavard encore) mais croirais tu que la tranchée que j’habite est faite avec des portes d’armoire, le dessus verni est au dehors couvert d’une couche de terre, le dedans flambant neuf, me fait voir les veines quand je suis couché sur mon sommier. Oui, un sommier, il est vrai qu’il n’y a guère de place que pour lui et moi quand je suis dessus.

Cependant, j’ai modifié ce soir l’installation et j’ai la place pour le petit réchaud à coke que j’emporte dans ces sortes de villégiatures.

Cette vie est dure, c’est incontestable, mais grâce à mes préparatifs, j’ai toujours pu dormir, or dormir, pour moi, n’est ce pas le nerf de la vie. Quand j’aurai mal dormi, j’aurai été mal couché, quand je suis mal couché, je ne dors pas, et quand je ne dors pas, je suis… pas content.

Or tous les éléments réunis pour bien dormir, sont pour moi, avec bien d’autres choses hélas, nécessaires pour être heureux.

Et le suis je heureux ma chérie?

Bon mon crayon qui casse…

Évidement, je ne peux pas dire, mari d’une femme que j’aime tant, père d’enfants que je chéris si follement que éloigné d’eux comme je le suis, je puis être heureux. Cependant, ma bonne Cécile, j’éprouve une sérénité d’âme que je ne puis laisser ignorer. Cette vie de  dévouement aux autres me plait et j’ai l’occasion de la vivre cette vie.

La vigueur dont je jouis me facilite ma tache, c’est vrai, mais je l’accomplie avec entrain sans arrière pensée, avec le sang froid nécessaire et le manque d’ambition (je ne l’aurai pas cru) qui permettent d’observer la prudence.

Certes je songe à vous et je n’aurais pas le courage de faire ces aveux, s’il en était autrement, je vous le prouverai d’ailleurs et ma vie ne suffira pas pour vous le prouver.

Au moment où je t’écris, on nous annonce notre relève, moi qui commençais à aimer ma chambre souterraine. On nous donne trois jours de repos du 21 au 24. Nous allons à Boesinghe, quel plaisir, j’aurai demain après m’être débarbouillé de m’entretenir longuement avec toi, car je le sens, j’aurai pour moi des lettres. Je dis des lettres, ma chérie, car je n’ai rien reçu depuis la tienne du 8. Et aujourd’hui, il a fait un soleil magnifique.

Donc à demain. Mille baisers

J.Druesne

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20 décembre 1914 (JMO du 37e RI)

Le régiment est relevé par le 79e dans la nuit du 20 au 21.

Cartographie du 20 décembre 1914


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