Mon ordinateur, mes logiciels, mes moteurs de recherche et mes sites Web favoris ont fait ces dernières années des efforts considérables pour me comprendre. Ils ont appris de mes erreurs, de mes errances et de mes frustrations. Ils ont caché toujours plus de complexité sous des interfaces toujours plus minimalistes. Moins de boutons, moins de clics, moins de configuration, moins de paramètres, moins d’explications, plus d’images.
Le rêve du Plug and Play (branchez et démarrez) est réalisé. Mais le concept introduit par Microsoft et IBM en 1995 s’est beaucoup sophistiqué (souvenez-vous : Windows 95 devait détecter tout seul l’imprimante vous alliez utiliser. Ça marchait parfois. « Just plug… and pray »). Aujourd’hui, on ne branche presque plus rien (c’est mobile, c’est bluetooth, c’est WiFi) et on a gamifié l’expérience utilisateur (traduisez par « rendre amusant pour les nuls »). Tout est plus utilisable, intuitif, social, mobile et collaboratif. Me voilà au 21e siècle.
Ma machine est incroyable
Non seulement ça marche presque sans prière, mais ça marche presque sans réfléchir. En plus d’avoir éliminé mes erreurs possibles, ma machine me connait si bien qu’elle anticipe mes désirs. Elle sait que je préfère les articles du Washington Post à ceux du New York Times. Elle me propose en priorité des restaurants près de chez moi plutôt qu’à l’autre bout de la ville. Elle m’offre des réductions sur les appareils photos plutôt que sur les soins de beauté. Elle me prévient des nouveautés sur les sites web que je préfère sans que je les visite. Elle me montre des photos de ma famille sans que je lui demande. Elle rempli automatiquement mes formulaires. Elle connait le nom de mes enfants et me prévient discrètement quand ils ont besoin de ma carte de crédit pour acheter de la musique pendant que je suis en réunion.
Ma machine est incroyable. Elle me comprend sans rien demander. Je l’allume, et je me laisse émerveiller par ce qu’elle me propose. Plug and Play.
Mais si elle semble devenue plus intelligente, la réalité est qu’elle s’en remet à d’autres pour opérer, réputés plus « intelligents » que moi. Sous une apparente simplicité, les technologies se sont multipliées et les paramètres sont légion. Les configurations sont devenues plus compliquées, mais elles sont désormais cachées. Invisibles à l’utilisateur, déclaré inepte à comprendre et à choisir. Les concepteurs ont renoncé à m’éduquer. Plutôt que de m’aider à choisir, ils font les choix à ma place. Des choix « par défaut ». Et pour s’assurer que leurs choix sont les meilleurs, pour toujours mieux ajuster leurs paramètres, ils m’observent, mesurent et enregistrent toutes mes réactions.
Personnalisation pour tous !
Un « j’aime » sur Facebook signifie une préférence. Dix « j’aime » deviennent une priorité. Cent « j’aime » en font une exclusivité. Plus je dis que j’aime la crème au chocolat, moins on me propose de la vanille. Plus je lis le Washington Post, moins on me propose le New York Times. Mais puisque j’aime le chocolat au lait, peut-être aimerais-je le chocolat noir ? Peut-on vous proposer MSNBC en complément du Washington Post ? Et si j’aime le chocolat noir, pourquoi pas une boite de truffes ? Intéressé par ce blog communiste ? (lisez ce qui arrive à trop « aimer »)
Une recherche sur Google est enregistrée. A perpétuité. Dix recherches sur le même sujet deviennent un centre d’interêt. Cent recherches en font un trait de ma personnalité. C’est pour mon bien. La personnalisation me permet de gagner du temps : pourquoi mettre cet article du New York Times en première page de mes résultats de recherche alors que je ne lis que rarement ce journal, même si le sujet de ma recherche le rend totalement légitime à trouver ?
Google ne s’en cache pas. La Personnalisation pour Tous, c’est l’avenir de la recherche. Mais puis-je encore changer d’avis si l’on ne m’offre jamais d’avis opposé ? Puis-je encore changer de restaurant préféré si on ne me propose jamais de nouveau restaurant ? Ce que Google me cache pour me simplifier la vie, en réalité m’isole. Ce que Facebook ne me montre plus m’éloigne de ceux qui « aiment » des choses différentes. Ce que mon ordinateur a configuré pour moi m’interdit de comprendre à quoi ça sert.
Le problème n’est pas ce que j’ai à cacher. Mais ce qu’on me cache.
Pour personnaliser ma vie, ma machine me pose parfois quelques questions essentielles. Dans un language à ma portée (« pour continuer, acceptez-vous que cette application détermine votre position en utilisant les données de votre réseau Wi-Fi local ? OK ? »), elle m’arrache un petit morceau de vie ici et là, qu’elle enregistre petit à petit dans « ses paramètres ». Rien de bien méchant. Et puis je suis un honnête homme. Je n’ai rien à cacher.
Le problème, je réalise, c’est ce qu’elle me cache. Plus elle en apprend sur ma vie, mes préférences, mes intérêts, plus elle me cache ce qu’elle croit pouvoir m’ennuyer. A commencer par tout ce qu’elle « sait » sur ma vie depuis que je l’ai rencontrée…
Je suis condamné à mourrir idiot
A ce rythme, je suis condamné à mourrir idiot dans un flot d’informations soigneusement sélectionnées pour me plaire. Juste à moi. Ainsi va la polarisation de la vie publique.
Et alors ? Alors j’ai décidé de trouver ce que ma machine voudrait me cacher. Parce que je suis comme ça. Un control freak. Je préfère comprendre comment marche ma machine plutôt que de m’en remettre à ce quelle croit « comprendre ». Même si c’est pour mon bien.
Chasser les cachettes
Ça commence par quelques liens cachés ici et là pour savoir ce que Google sait et pour savoir toutes les recherches que j’ai faites et que Google a enregistré depuis la nuit des temps sans rien demander (pour celles là c’est trop tard : même si vous décidez de les « effacer », Google ne fera que les « cacher » de votre vue. Pas vraiment de « suppression » possible.)
Sortir de la bulle
Et puis il y a le changement plus radical de ma méthode de recherche. Adieu Google, bonjour DuckDuckGo. L’essayer c’est l’adopter. Ici, pas d’historique, pas de données personnelles, et surtout PAS DE PERSONNALISATION. Uniquement les résultats tels qu’ils sont. Les plus pertinents d’abord. Et tant pis si « ça ne me fait pas plaisir » (lisez comment DuckDuckGo peut vous aider à « sortir de votre bulle » de recherche)
Notez que Apple a gentillement intégré DuckDuckGo à Safari. Sans doute plus pour embêter Google Chrome que pour respecter votre vie privée. Mais qu’importe l’intention : c’est bien pratique !
Aimer moins
Il y a aussi Ello. Le premier réseau social qui ne vend pas de pub (et donc ne collecte pas d’information personnelle « vendable »). En plus il est simple, il est beau, et son statut de PBC gâche rien (Public Benefit Corporation : un statut particulier du droit des sociétés américains qui oblige ses dirigeants à « prendre en compte l’impact social de leurs décisions » autant que l’intérêt des actionnaires, ainsi que de publier un bilan social.
Facebook peut continuer de recevoir de mes nouvelles. Mais ne vous offensez pas si « je n’aime » que rarement.
Cocher les cases
Enfin il reste la machine. Il en coûte d’ouvrir les « Préférences Système », mais je dois reconnaître qu’Apple n’y cache pas grand chose. A part peut-être ce nouvel « iCloud » dont le fonctionnement reste assez obscur, il est assez simple de demander à la machine d’arrêter de collecter quoi que ce soit, ou au minimum, de demander la permission.
Très Joyeux Noël
Et voilà. Mon jouet à moi est tout propre et ne me cache presque plus rien. Mon cadeau est de vous inviter à nettoyer le vôtre, en vous souhaitant —comme à Edward Snowden— un très joyeux Noël !