Ce livre est un superbe hommage au travail mais aussi à l’homme : le peintre franc-comtois Jules-Emile Zingg. Chaque tableau présenté dans cet ouvrage est mis en exergue par un texte des poètes : Marie-Agnès Roch et Bernard Giusti.
Mais qui peut mieux présenter le livre que le préfacier Christian Rome, auteur lui-même. Je vais vous copier un extrait de sa préface :
Le chantre d’un monde perdu
Jules Emile Zingg naquit en 1882 à Montbéliard dans les rigueurs du pays franc-comtois, marqué dès son enfance par le rythme des saisons et les métamorphoses de la nature dont il exprimera plus tard tout ce qu’elle a « … de plus dur, de plus âpre, de plus désolé. »
(…) l’œuvre de ce chantre de la terre et du monde paysan (…) va exprimer dans la description de l’alternance des saisons et de la vie rurale, une oscillation permanente entre l’exaltation et la tristesse.
Ainsi l’œuvre met en scène, en contraste, presque en discorde, le poids sombre des hivers opaques et la lumière dorée des blés, la masse compacte des champs noirs et les toits chargés de neige, les arbres noueux et solitaire te les collines rondes et silencieuses, les ciels d’orage et la lumière pâle des petits jours… Lutte incessante entre le blanc et le noir qui tentent chacun de faire craquer le fauve et le brun des couleurs.
Et dans ces paysages à la beauté rude surgissent les hommes, paysans venus du fond des âges, courbés sur leur tâche, comme émergeant de la terre et se confondant avec elle ; hommes, femmes, chevaux, bovins imprégnés par l’environnement, corps façonnés comme le dessin des collines et enserrés entre la lourdeur des sols et le poids du ciel. Fusion de l’homme avec la nature et les éléments, l’air, la lumière, le vent, dans une lutte amoureuse exacerbée par la violence sourde des couleurs et la puissance ramassée des traits de l’artiste. (…)
Matins comtois
Quand le clocher courbé par la fierté comtoise
Soulève le bonnet des femmes endormies,
Le troupeau alourdi par sa mamelle pleine
Bat le pavé usé sous les pluies de la veille.
Il marche au pas de l’aube alanguie par l’automne
Poussé par un bouvier taillé à la cognée,
Et quand la brume passe au raz des mufles frais
Les lueurs de la vie éclosent aux fenêtres.
L’étable a la chaleur d’un lit en fin de nuit
Que l’on quitte à regret quand le rêve s’achève
Et le seau sous le pis fait patienter le bol
Qui posé sur la table éveillera l’enfant.
Et les femmes rajustent leur coiffe à dairi,
Sous ses mille couleurs, elles tracent leur histoire
Tournant la cancoillotte en longs rubans goûteux
Pendant que le laitier revient vers la fruitière.
La matinée s’achève à l’heure du clocher
Sonnant à la volée son luxe vernissé,
Il fait trembler la soupe aux lèvres affamées
Qui n’ont pas d’autres mots que ceux du temps qu’il fait.
Marie-Agnès Roch
Et pour finir…
La paysannerie
Pèse aujourd’hui sur notre monde
Comme une mauvaise conscience…
Les paysans disparaissent
Remplacés par des exploitants agricoles
Et l’on voudrait faire de la terre
Une marchandise comme une autre.
Nous foulons nos ancêtres
De nos pieds vernissés.
Mais cette terre
Qui a bercé l’humanité,
Qui l’a vu naître et grandir,
Sur laquelle des centaines de générations
On peiné, jusqu’à la mort souvent,
Se sont aimées et ont prospéré,
Cette terre
Trop lourde pour nos consciences,
Cette terre
Sera toujours vivante
Lors même que nous aurons disparu.
Il en est des artistes
Comme des arbres :
Ils puisent leur force
Leur joie et leur douleur
Au plus profond du sol
Et sans cesse ils tendent vers la lumière.
Jules-Emile Zingg est de ceux-là
Et ses moissons de traits et de couleurs
Longtemps encore
Feront germer l’avenir.
Allons !
Peut-être est-il temps
De reconquérir notre mémoire…
Et le dernier mot à l’artiste :
Il y a des gens qui s’imaginent
Que la peinture est une partie de plaisir
C’est une passion violente
Qui va chez moi augmentant.
La peinture supprimée
La vie m’apparait dénuée d’intérêt.
Je travaille dur.
Ce n’est pas toujours drôle
De stationner des journées entières
Avec cette sacrée bise des Vosges
Qui vous cingle par des 10°
Au-dessous de zéro
Mais c’est tellement beau
Oublier Cézanne, Rousseau, Picasso
Ne voir qu’en soi, ne compter que sur soi
Aller droit devant soi
Il y a sans doute dans mes œuvres
Quelque chose de caché
Sous leur aspect simple.
Le mystère des choses, des êtres
Et aussi celui du peintre se fera sentir
Pour ceux qui regarderont
Avec leur coeur.
Zingg.