Zingg, la terre et l'homme

Publié le 27 décembre 2014 par Pestoune

Ce livre est un superbe hommage au travail mais aussi à l’homme : le peintre franc-comtois Jules-Emile Zingg. Chaque tableau présenté dans cet ouvrage est mis en exergue par un texte des poètes : Marie-Agnès Roch et Bernard Giusti.

Mais qui peut mieux présenter le livre que le préfacier Christian Rome, auteur lui-même. Je vais vous copier un extrait de sa préface :

Le chantre d’un monde perdu

Jules Emile Zingg naquit en 1882 à Montbéliard dans les rigueurs du pays franc-comtois, marqué dès son enfance par le rythme des saisons et les métamorphoses de la nature dont il exprimera plus tard tout ce qu’elle a « … de plus dur, de plus âpre, de plus désolé. »

(…) l’œuvre de ce chantre de la terre et du monde paysan (…) va exprimer dans la description de l’alternance des saisons et de la vie rurale, une oscillation permanente entre l’exaltation et la tristesse.

Ainsi l’œuvre met en scène, en contraste, presque en discorde, le poids sombre des hivers opaques et la lumière dorée des blés, la masse compacte des champs noirs et les toits chargés de neige,  les arbres noueux et solitaire te les collines rondes et silencieuses, les ciels d’orage et la lumière pâle des petits jours… Lutte incessante entre le blanc et le noir qui tentent chacun de faire craquer le fauve et le brun des couleurs.

Et dans ces paysages à la beauté rude surgissent les hommes, paysans venus du fond des âges, courbés sur leur tâche, comme émergeant de la terre et se confondant avec elle ; hommes, femmes, chevaux, bovins imprégnés par l’environnement, corps façonnés comme le dessin des collines et enserrés entre la lourdeur des sols et le poids du ciel. Fusion de l’homme avec la nature et les éléments, l’air, la lumière, le vent, dans une lutte amoureuse exacerbée par la violence sourde des couleurs et la puissance ramassée des traits de l’artiste. (…)

Matins comtois

Quand le clocher courbé par la fierté comtoise

Soulève le bonnet des femmes endormies,

Le troupeau alourdi par sa mamelle pleine

Bat le pavé usé sous les pluies de la veille.

Il marche au pas de l’aube alanguie par l’automne

Poussé par un bouvier taillé à la cognée,

Et quand la brume passe au raz des mufles frais

Les lueurs de la vie éclosent aux fenêtres.

L’étable a la chaleur d’un lit en fin de nuit

Que l’on quitte à regret quand le rêve s’achève

Et le seau sous le pis fait patienter le bol

Qui posé sur la table éveillera l’enfant.

Et les femmes rajustent leur coiffe à dairi,

Sous ses mille couleurs, elles tracent leur histoire

Tournant la cancoillotte en longs rubans goûteux

Pendant que le laitier revient vers la fruitière.

La matinée s’achève à l’heure du clocher

Sonnant à la volée son luxe vernissé,

Il fait trembler la soupe aux lèvres affamées

Qui n’ont pas d’autres mots que ceux du temps qu’il fait.

   Marie-Agnès Roch

Et pour finir…

La paysannerie

Pèse aujourd’hui sur notre monde

Comme une mauvaise conscience…

Les paysans disparaissent

Remplacés par des exploitants agricoles

Et l’on voudrait faire de la terre

Une marchandise comme une autre.

Nous foulons nos ancêtres

De nos pieds vernissés.

Mais cette terre

Qui a bercé l’humanité,

Qui l’a vu naître et grandir,

Sur laquelle des centaines de générations

On peiné, jusqu’à la mort souvent,

Se sont aimées et ont prospéré,

Cette terre

Trop lourde pour nos consciences,

Cette terre

Sera toujours vivante

Lors même que nous aurons disparu.

Il en est des artistes

Comme des arbres :

Ils puisent leur force

Leur joie et leur douleur

Au plus profond du sol

Et sans cesse ils tendent vers la lumière.

Jules-Emile Zingg est de ceux-là

Et ses moissons de traits et de couleurs

Longtemps encore

Feront germer l’avenir.

Allons !

Peut-être est-il temps

De reconquérir notre mémoire…

Et le dernier mot à l’artiste :

Il y a des gens qui s’imaginent

Que la peinture est une partie de plaisir

C’est une passion violente

Qui va chez moi augmentant.

La peinture supprimée

La vie m’apparait dénuée d’intérêt.

Je travaille dur.

Ce n’est pas toujours drôle

De stationner des journées entières

Avec cette sacrée bise des Vosges

Qui vous cingle par des 10°

Au-dessous de zéro

Mais c’est tellement beau

Oublier Cézanne, Rousseau, Picasso

Ne voir qu’en soi, ne compter que sur soi

Aller droit devant soi

Il y a sans doute dans mes œuvres

Quelque chose de caché

Sous leur aspect simple.

Le mystère des choses, des êtres

Et aussi celui du peintre se fera sentir

Pour ceux qui regarderont

Avec leur coeur.

   Zingg.

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