Au Cachemire, circulait, il y a trois siècles avant notre ère, le Pañchatantra, un recueil de contes et de fables animalières, écrit en Sanskrit et racontant les aventures et mésaventures de 2 chacals Karataka et Damanaka. Ce recueil connut une postérité telle qu’il se répandit dans la plus grande partie de l’Asie, atteignant même les contrées les plus reculées grâce aux conteurs, aux pèlerins bouddhistes…
Dès 570, l’empereur perse Khosro 1er, ayant entendu parler de ce recueil, envoya en Inde son premier médecin afin d’en rapporter une copie. C’est ainsi que le Pañchatantra sera traduit en pehlvi, puis adapté en arabe quelques 200 ans plus tard qui deviendra le Kalïla wa Dimna du nom arabe des deux chacals. Ainsi Kalîla et Dimna, rapportent au long de dix-huit chapitres des anecdotes (une histoire par chapitre), relatent des intrigues de cour, donnent des conseils et des règles de conduite. Destiné à l’éducation morale des princes, le recueil atteindra très vite une notoriété chez tous les lettrés avant d’atteindre, là aussi par l’intermédiaire des conteurs, toutes les couches sociales.
C’est cette version qui atteindra l’occident à son tour. Bien des auteurs et des écrits médiévaux s’en sont inspirés, tel le Roman de Renard ainsi que les fables de La Fontaine, les contes des frères Grimm...
Les trois poissons
On raconte, commença Dimna, qu’en un lac éloigné de la terre et dont personne n’approchait vivaient trois gros poissons. Or, un beau jour, deux pêcheurs, passant par-là, aperçurent le lac et se promirent de revenir avec leurs filets pour pêcher ces poissons; paroles que les poissons entendirent.
Celui à l’esprit le plus résolu que la vue des deux hommes avait rempli de soupçon et de crainte sortit sans tarder par le déversoir qui amenait les eaux du lac à la rivière.
Quant au second, moins éveillé que lui, il tarda à prendre une décision au point qu’il vit arriver les pêcheurs. Il pensa alors:
-« J’ai trop tardé et en voici la conséquence ».
Il comprit leur intention lorsqu’ils obstruèrent le déversoir et face à cette situation il se demanda quelle ruse il pourrait trouver pour se sauver, sachant qu’il est rare que la chance ne favorise un stratagème conçu au dernier moment. Mais il ne faut jamais désespérer ni renoncer à réfléchir. Et, en guise de ruse, le poisson fit le mort flottant sur le dos à la surface de l’eau : les pêcheurs le prirent et, le croyant mort, le jetèrent sur la rive du cours d’eau près du lac. Le poisson sauta aussitôt dans ce cours d’eau et échappa ainsi aux pêcheurs.
Quant au troisième, indécis, il ne cessa de s’agiter en tous sens et fut finalement pris.
L’homme et la mort
Lorsque son heure sonne, l’homme peut bien déployer tous ses efforts pour se prémunir contre tout ce qui lui fait craindre pour sa vie. Ce sera en vain. Bien plus, ses efforts et sa prudence risquent de se retourner contre lui.
Ainsi, on raconte qu’un homme s’aventura un jour dans une contrée désertique, peuplée de fauves effrayants en étant averti du caractère périlleux de ce territoire et de la peur qu’il inspire. A peine s’était-il enfoncé dans cette contrée, qu’il se trouva nez à nez avec un loup des plus féroces. Lorsque l’homme vit que le loup se dirigeait droit sur lui, il prit peur et regarda de tous les côtés à la recherche d’un endroit où se mettre à l’abri de l’animal. Mais il ne vit rien d’autre qu’un village de l’autre côté d’une rivière. Il s’empressa alors de se diriger vers ce village.
Arrivé au niveau de la rivière, il ne vit aucun pont pour rejoindre le village. Il vit que le loup l’avait quasiment rattrapé, alors il se jeta à l’eau sans savoir nager. Et il se serait noyé si les gens du village ne l’avaient pas aperçu et ne l’avaient pas sorti de l’eau, ce qu’ils firent au moment où il était sur le point de mourir.
Lorsque l’homme arriva dans leur village, et qu’il se sentit à l’abri du loup sur l’autre rive du fleuve, il vit une maison isolée et se dit : « Je vais entrer dans cette maison pour m’y reposer ». Quand il y entra, il trouva une bande de brigands qui avaient attaqué un commerçant et qui se partageaient son argent en projetant de le tuer. A ce spectacle, l’homme prit peur et se dirigea vers le village : il s’adossa à un mur pour se reposer de la frayeur et de la fatigue passée lorsque le mur s’effondra sur lui, causant sa mort.
L’alouette et l’éléphant
…Une alouette choisit pour pondre un endroit où passait l’éléphant. Or, l’éléphant allait toujours boire à la même eau ; un jour qu’il passait par là, comme à l’accoutumée, pour se rendre à l’abreuvoir, il écrasa le nid de l’alouette, réduisit les œufs en miettes et tua les oisillons. A la vue du mal qu’on venait de lui faire, l’alouette reconnut que l’éléphant était le seul coupable. Prenant son vol, elle alla se poser sur la tête de l’éléphant en poussant des cris pitoyables (litt. en pleurant).
« Pourquoi, ô roi, avoir écrasé mes œufs et tué mes petits ? J’étais pourtant ta voisine. As-tu fait cela parce que tu me dédaignes et me méprises ?
« Oui, c’est cela même qui m’a poussé », répondit l’éléphant.
L’alouette, le laissant là, se rendit auprès des oiseaux assemblés et se plaignit du mal qu’on lui avait fait. Et les oiseaux :
« Comment pourrions-nous, nous qui ne sommes que des oiseaux, venir à bout de l’éléphant ? ».
L’alouette alors répondit aux pies et aux corbeaux :
« Je désire que vous m’accompagniez pour aller crever les yeux de l’éléphant ; cela fait, je lui réserve d’autres tours de ma façon. »
Les oiseaux ayant donné leur accord, tous partir en direction de l’éléphant : ce fut peu de lui crever les yeux, (on les lui arracha), on les emporta. L’éléphant resta là, sans pouvoir se diriger (ni prendre) le chemin qui le menait au pâturage et à l’abreuvoir ; il n’eut (d’autre ressource) que de chercher sa pâture à l’endroit même où il était. Apprenant cela, l’alouette s’en alla à un marais où les grenouilles abondaient. Comme elle se plaignait du malheur causé par l’éléphant :
« Quelle ruse trouver ? Répondirent les grenouilles ; l’éléphant est bien gros ! Quand pourrions-nous venir à bout de lui ?
« Je désire, répondit l’alouette, que vous me suiviez jusqu’à un précipice, qui est tout près de l’éléphant ; vous y coasserez en un beau vacarme. En entendant vos cris, l’éléphant, persuadé qu’il trouvera de l’eau, tombera dans le précipice ».
Les grenouilles, ayant donné leur accord à l’alouette, e rassemblèrent (au fond) du précipice, et l’éléphant, éprouvé par la soif et entendant leurs coassements, avança, avança, tomba et roula dans l’abîme. L’alouette vint alors voltiger sur sa tête et lui dire :
« Eh bien ! Tyran qui t’aveuglais de ta force et me méprisais, qu’en dis-tu ? Je suis de petit taille mais de grandes ressources tandis que toi ton corps est immense et ta pensée toute menue ! »…
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