Prof Vacataire : Notre Tiers-Monde Diplômé

Publié le 29 décembre 2014 par Georgezeter

Ils ont assez de savoir pour préparer leurs élèves à l’épreuve du Bac ; Sont Assez qualifiés pour faire passer les épreuves de BTS et assez professionnels pour valider le niveau A2 des brevets. Il faut ajouter : leur présence au conseil de classe, aux rencontres parents/profs, aux réunions pédagogiques ; bref, ils ont la couleur, la saveur d’un professeur, tout en étant traités comme des sous-fifres négligeables, jetables comme des rasoirs Bic, recyclable comme les lessives qui lavent plus vert que vert ; ce sont les grognards d’une armée de traine-savates diplômés Bac+3, 4/5.

Je m’en vais vous en conter une bonne

Les qualités d’un professeur vacataire doivent être le copié/collé de ses collègues titulaires : ponctualité, un minimum de charisme, connaitre son sujet, savoir transmettre, avoir un bon esprit de synthèse, être disponible, psychologue, un peu assistante sociale, être ferme et juste, travailler ses copies, ses devoirs et participer à un nombre de réunions incalculables et passionnantes dans l’année, sans compter l’accompagnement des élèves en sortie et les voyages d’étude. Bref, un p’tit boulot comme c’est bien connu de fainéant, bien payé, avec des vacances en veux tu en voilas et un panneau de revendication toujours prêt au cas de grèves (nombreuses et multiples…) Ah j’oubliais, et toujours en arrêt maladie ! Et c’est là que le pauvre bougre intervient : le Vacataire appelé « le remplaçant ». Ce mercenaire des cours de récrée est contacté par le rectorat, et sans tambour ni trompette balancé devant ses classes sans rien savoir des programmes, des niveaux et du niveau de discipline/indiscipline de ses futurs élèves. Il faut prendre les choses en main très-très rapidement, ne pas se faire déborder, se faire respecter tout en essayant de suivre le programme du titulaire ; avoir en fait ce don d’être un caméléon capable de s’imposer en l’espace de 2 leçons, devant disons : 6 ou 7 classes de 5 niveaux soit environ 140 ados ; si ce n’est pas le cas, ce sera l’enfer, la guerre de tranchée contre des groupes de 20 ou 30 ados prêt à vous croquer à la moindre défaillance.

La première récrée, c’est la découverte de la « salle des profs » Là, c’est le caravansérail : ça jargonne en plusieurs langues, ça échange sur des sujet absconds (pour le commun), ça râle à propos des emplois du temps, ça raconte et rigole à propos des âneries entendues durant l’heure précédente et… Certains de ces titulaires snobent totalement cet infitissime vermisseau qui ose venir respirer l’air de ces grands esprits éclairés, oh, si éclairés. Combien de fois « le remplaçant » à son arrivée le matin en lançant un bonjour à la ronde n’obtient aucune réponse… Et oui, chers lecteurs non initiés il y a un monde en vertical en ce monde de savoir : les agrégés, comme les maréchaux d’empire, les capésiens, eux sont les capitaines du régiment, et enfin ces vacataires, comme les caporaux-estafettes qui portaient coudes au corps les plis d’un colonel à un autre sur les champs de bataille et ce, sous une mitraille de fer.

D’aucuns diront : « Passes le concours et t’auras la paix, la sécurité de l’emploi et un statu social. »  Si c’était aussi simple. Cela fonctionne avant la quarantaine, car, lors du passage du Capes il y a deux épreuves. L’une écrite qui comme tous travaux écrits n’est pas trop sujet à la subjectivité et une épreuve orale, ou là par contre c’est un jury qui donne sa note. Bien sûr cette note est subjective car influencer par la personnalité du candidat, de certains critères si ce même candidat est issu d’une minorité visible, ou pourquoi pas l’âge (avoir la cinquantaine ne doit pas être en faveur du postulant ?). Il y a ensuite si reçu au concours l’affectation qui, certainement à 22 ou 25 ans ne représente pas véritablement un gros problème (quoique passer 5 années minimum dans le 9.3 ne soit une sinécure). Alors que plus âgé, il y a les enfants, la maison à crédit, les amis etc.  Donc, ce fameux Capes est très bien pour des jeunes, alors que pour les plus vieux, il représente trop d’inconvénients, sans compter qu’il faut avouer qu’il n’est pas facile à décrocher, il faudra retourner à l’école sur le tard afin de se remettre à niveau…Donc, le vacataire vaque sans ce sésame et est pris très souvent de vague à l’âme en se disant… « Est-ce que à la fin du mois mon maigre salaire sera viré ? »  Oui, je saute du coq à l’âne ou plutôt de la poule au bourrin. Car, très souvent le plus facile pour « le remplaçant » est d’enseigner. Ce mercenaire doit composer avec une administration des plus kafkaïenne : d’abord les contrats sont multiples à moins d’avoir la chance de remplacer une collègue en congé maternité, sinon, c’est un arrêt maladie qui se prolonge de 15 jours en 15 jours. Il faut donc signer un nouveau contrat qui, par le jeu complexe des trois services de paie décale le versement des émoluments parfois de deux mois. Comprendre une feuille de paye du rectorat demande au moins un doctorat en compta, et s’y retrouver afin de savoir si les heures supplémentaires ont bien été payées… Cela est très frustrant de ne jamais savoir combien et quand ce maudit salaire va arriver, alors que les factures mensuelles elles, courent, courent.

Si par malchance il n’y a pas de remplacement et que le nombre d’heures travaillées sont dans les critères, « le remplaçant » a droit (car il paye des taxes pour cela) au chômage. Il s’inscrit au pole emploi, où sa demande d’allocation est refusée.  Il doit envoyer ce refus avec un dossier assez important, attendre au moins deux mois avant d’espérer toucher quoique ce soit.

Je connais un cas, où, ce professeur vacataire ayant travaillé pour l’état ces 5 dernières années va se retrouver à la rue, car, dans l’impossibilité de payer son loyer, il devra aussi s’alimenter aux restos du cœur. Pourquoi ? Pour tout ce qui est expliqué plus haut. Il n’y a pas de caisse de secours, et bien souvent lors des salaires en retard une « avance » est accordée, elle représente cette « avance » une petite portion du salaire qui aurait dut être perçue, si, bien, qu’entre ces « avances » et ce chômage qui tombera dans quelques mois, le pauvre bougre devra se serrer la ceinture et plus que cela même.  Il n’aura pas droit non plus au RSA, car, inscrit sur les listes du chômage qu’il devra toucher, et donc, considéré comme chômeur rémunéré. (Quant je vous disais kafkaïen !)

Déjà que l’éducation nationale a de vrais soucis de recrutement, de moins en moins de Bac +5 devant obtenir le Capes ont envie de se casser la nénette, alors qu’à ce niveau d’étude beaucoup d’autres portes sont ouvertes. Tout ça pour un des plus bas salaire d’Europe, devoir subir l’attitude de moins en moins respectueuse d’une génération d’enfants rois, de subir les méandres d’une administration ubuesque, d’une hiérarchie ouvreuse de parapluie, marcheuse sur des oeufs et pour faire bonne mesure des parents donneurs de leçons, donneurs de : ne faites surtout pas ce que je fais. Et là, je parlais des titulaires qui commencent à se faire rare…

Quant aux « remplaçants » ? A moins que ce soit un salaire d’appoint, comme par exemple l’épouse d’un cadre qui enseigne histoire de ne pas s’ennuyer ; le pauvre vacataire qui lui a besoin de vivre de son travail en est réduit à moyen terme, au cas de maladie, d’un achat imprévue, comme racheter une voiture ; en est réduit à se retrouver dehors, et pourquoi pas faire les poubelles pour s’alimenter. Ca a de la gueule non, ces enseignants clodos ne trouvez vous pas ?

Pour en terminer avec ce vacataire

On lui a offert un poste un peu loin de chez lui, il a accepté, lorsqu’il a appelé le lycée on lui a dit qu’il pouvait être logé près des dortoirs des pensionnaires, mais, avec finances (10 euros la nuit), qu’il pourrait se nourrir à la cantine (4 euros par repas), que bien sûr il n’y aurait pas de défraiement concernant son essence (2 allers/retours par semaine soit 600km), en faisant un petit calcul, les 3 semaines où il aurait travaillé lui auraient coutés de sa poche dans les 500 euros… Sauf que, comme il n’a pas été payé totalement il n’avait pas les moyens d’avancer cette somme… Alors il est resté chez lui, et les élèves d’un lycée général se sont retrouvés sans professeur pendant 1 mois ! Ca c’est de la gestion non ?

Lorsque ce pays décidera où sont ses vraies priorités, des solutions évidentes deviendront évidentes. Avant ça : « le remplaçant Bac+5 » reste chez lui, les élèves n’ont pas de prof, la responsable du rectorat galère afin d’en trouver, l’administration du lycée ne sait plus comment occuper toute cette jeunesse désœuvrée qui tourne en rond à la CPE ou dans une cour de récréation et surtout, surtout. Quelle cohérence et quel exemple donnons nous à cette génération qui monte et se rend bien compte que ce système est obsolète, dépassé et géré en hauts lieux par une bande de canards boiteux ; un de ces jours proches, ça va nous exploser à la face !

Joyeux noël et bonne année « le remplaçant » qui n’a fait que passer, qu’on a pressé, puis jeté… En le payant à coups de lance pierre.

Georges Zeter/Décembre 2014

J’ai choisi ce mot « le remplaçant » car lorsqu’il arrive ce vacataire on ne lui demande jamais son nom, mais « qui il remplace »… Et oui, ça commence toujours comme cela ; bien vous faire sentir combien vous ne comptez pas.