Barry Wallenstein, Tony’s blues   par Chantal Dupuy-Dunier

Publié le 30 décembre 2014 par Angèle Paoli
Barry Wallenstein, Tony’s blues,
édition bilingue, Recours au poème éditeurs, 2014.
Recueil traduit de l’anglais (États-Unis)
par Marilyne Bertoncini.


Lecture de Chantal Dupuy-Dunier.

L’ENVERS DES CONTES DE FÉES

J’ai eu la chance de rencontrer Barry Wallenstein en résidence d’auteur au couvent de Saorge, dans l’arrière-pays niçois. J’ai aussi eu celle de l’écouter dire ce texte, accompagné de jazz, sur le CD qu’il a réalisé. Marilyne Bertoncini venait travailler avec lui dans le jardin à la traduction qu’elle nous livre à présent.

Tony’s blues nous propose une écriture très moderne, à laquelle un cadre urbain sert de décor. Je parlerais volontiers de poème-BD, feuilleton, film américain avec un rythme de blues pour la bande-son. Une ville où Tony fume des joints, descend des verres, se livre à quelques trafics, fréquente des mecs un peu louches, drague, va au bordel, tente de se démarquer en se teignant les cheveux en rouge. Une banlieue où se battent des gosses, où des gars se font poignarder.

« T’es un bon gros salaud de ta mère, Tony » constitue le premier vers du recueil, le ton est donné. Mais qui est Tony ? Un petit garçon dont le père travaillait aux abattoirs, liens du sang réels :

« Il saignait les bœufs
mais assommait les veaux.
Ça changeait le goût de la viande
et tout petit alors, j’apprenais ça. »

Comme son père, il porte un couteau, héritage phallique.

« Qu’est-ce qui m’appartenait en effet
sinon ma place sur ces épaules ? »

Un SDF au sens où nous sommes tous symboliquement SDF puisque notre domicile réel sera celui dans lequel nous demeurerons le plus longtemps : la mort.

« Dans une minute t’auras peut-être le visage gelé,
ou froid, Tony, froid. »

« On court tous vers le même but,
piqués par la même mouche. »

Un orphelin s’adressant à sa mère, « sous le couvercle » depuis cinq ans. Un cinglé qui se donne un coup de marteau sur la tête :

« Pourquoi a-t-il fait ça ?
Il dit que le sort s’acharnait sur lui
et qu’il l’a abattu. »

Tony me semble rassembler en lui tous les possibles marginaux de la condition humaine. Être poète en fait évidemment partie. Tony s’adresse aussi à son créateur (dieu-géniteur aux mains couvertes de sang) :

« Quelqu’un d’autre dans ma voix
— C’est effrayant pire qu’avaler une arête de travers et s’étrangler —
Qui est dans les coulisses ? »

Blues devant une vie qui n’est pas un long fleuve tranquille, et quand le rêve se pointe :

« Pendant des années, il avait différé le rêve,
et le rêve arriva… »

On pourrait croire à la survenue d’une existence heureuse, eh bien non, il s’agit d’un rêve dans lequel, à l’inverse des contes de fées, rien de ce que demande Tony ne lui est accordé. Il faudra faire avec, ou plutôt sans.

L’ouvrage est illustré par quatre photographies de la voûte céleste vue entre les branches d’arbres, les sommets de gratte-ciel, ou les filins d’un pont suspendu. Un air de Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov, la scène dans laquelle le soldat meurt en voyant le ciel tournoyer entre les cimes des arbres.

Marilyne Bertoncini a fait œuvre de traductrice, mais aussi de poète, pour nous restituer l’ambiance et le rythme d’une création surprenante au ton singulier.

Chantal Dupuy-Dunier
D.R. Chantal Dupuy-Dunier
pour Terres de femmes



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