Intérieur, escalier de l’immeuble de l’appart de Chris Geoffroy
Ralf et Anna dévalent les escaliers. Anna a enfilé un épais manteau cape kaki. Elle est passée devant Ralf. Elle descend vite sans se retourner, la main glissant le long de la rampe. Ralf contemple sa nuque, comme magnétisé. Il pose à son tour la main sur la rampe et poursuit Anna.
Extérieur, au bord du canal
Ralf et Anna sont tous les deux assis sur un banc. Ils se taisent. Il n’y a que de la vapeur d’eau blanche qui sort de leur bouche, en raison du froid. Ils regardent le canal couler.
ANNA
T’es plutôt du genre taiseux, toi ?
RALF
Oui, je suis désolé.
ANNA
Arrête d’être désolé pour commencer, ça ira déjà mieux.
RALF
Désolé.
ANNA rit puis :
Tu savais que j’étais enceinte ? Il te l’avait dit ?
RALF
Non, je ne savais pas. Désolé.
ANNA
C’est dingue, tu ne peux pas t’en empêcher!
RALF
Et tu l’es toujours ?
ANNA
Quoi ?
RALF
Enceinte ?
ANNA
Pourquoi je suis fourrée chez la mère de Chris à ton avis ? T’es drôle, toi !
RALF
Pardon.
ANNA
Oh t’excuse pas d’être drôle. On l’est tous, malgré nous, ici. Tu fais quoi dans la vie ?
RALF
Euh, je surveille.
ANNA
C’est pas une réponse, non plus. Tout le monde fait ça ici. Moi, je parle anglais. Je suis bonne en langues. On me fait écouter des conversations captées. Ca fait un an que je suis le même type. Je connais tout de sa vie. A mon avis, je le connais mieux que lui-même. C’est comme un ami, en plus proche encore. Rien qu’à ses intonations ou ses silences, je sais s’il ment ou pas. Je l’aime bien. Je vois du pays avec lui, je m’évade. Je pars sans avoir à partir. Tu vois ? J’espère que je ne vais pas perdre mon boulot. Qu’ils ne vont pas mettre sur le banc de touche. Maintenant.
RALF
T’inquiète pas, il n’y a pas de raison.
Elle le dévisage.
ANNA
T’es vraiment con parfois !
RALF
Je sais.
ANNA
Désolée, je parle couramment. Pardon, je voulais dire tout le temps. Bon, alors, tu fais quoi ? Je veux dire de ta connerie.
RALF
Je garde le mur.
ANNA
Ah…
Silence.
RALF
J’étais là ce matin-là. J’ai…
ANNA
Elle est comment ta fiancée ?
RALF
Belle. Elle te ressemble. Je voulais…
ANNA
Comment elle s’appelle ?
RALF
Elena. Elle est belle mais je ne l’aime pas.
ANNA
Ce n’est pas grave, ça sera pour la prochaine fois.
RALF
Quoi, la prochaine fois ?
ANNA
Dans ta prochaine vie, quand t’auras expié les fautes de celle-ci.
RALF
Je suis désolé, Anna, je ne savais pas…
ANNA
Eh c’est bon, je rigole.
RALF
Est-ce qu’on pourra..
ANNA
J’attends des jumeaux.
RALF
Ah, comme dans la chanson.
ANNA
La chanson ?
RALF
Du walkman. Billie Jean, il faut que tu l’écoutes.
ANNA
Il faut que j’y aille. J’aime pas laisser trop longtemps seule la mère de Chris.
RALF
A bientôt ?
ANNA
Je crois que ce n’est pas la peine, Ralf. Merci pour le walkman.
Elle se lève. Elle part sans se retourner. Ralf reste assis sur son banc et la regarder partir. Il prend sa médaille suspendue à son veston et la jette dans le canal. La médaille fait trois ricochets en tombant.
Intérieur cage escalier de l’immeuble de Ralf, jour
Ralf monte les escalier, sa main glisse le long de sa rampe. Il avance lentement, il traîne du pied. Il ouvre la porte de chez lui. Les décorations de la fête pendouillent aux murs à la lumière crue du jour. Il n’y a personne. L’appartement paraît plus que jamais vide, désolé. Il va dans sa chambre. Une voix l’appelle, Ralf ne la reconnaît pas tout de suite.
MERE (voix off)
Ralf, on est dans la cuisine.
Ralf se dirige vers la cuisine. Là l’attendent autour de tasses de café la mère de Ralf et Elena. On s’aperçoit que l’agencement de la pièce et le mobilier sont quasiment identiques à ceux du foyer (celui de Chris) qu’il vient de quitter. Les deux femmes sont quasiment habillées de la même manière que la mère de Chris et Anna. Elena a les yeux rouges…et les cheveux courts, coupés à moitié.
RALF
Qu’est-ce qu’il y a ? Vous en faites une tête ?
MERE
Bon, je te laisse voir ça avec Elena.
Elle pose une main réconfortante sur l’épaule de la jeune fille qui reste assise à table et sort de la pièce. Ralf s’assoit autour de la table. Silence. Il prend la main de la jeune fille.
ELENA
Tu as déjà enlevé ta médaille ?
RALF
Non, je l’ai jetée.
ELENA
Comme le walkman ?
Ralf ne répond pas.
ELENA
Te fatigue pas. Je t’ai vu dans la nuit. Le prendre. Et partir tôt ce matin.
RALF
Je l’ai vendu.
ELENA
Mais pourquoi ? Tu me l’avais offert, Ralf.
RALF
Je voulais t’offrir une bague, Elena. Pas un trophée de chasse. Une alliance. Et pas un mauvais souvenir.
Elle sourit. Une longue mèche épargnée lui tombe sur le visage. Ralf l’écarte d’une caresse.
RALF
Tu t’es coupé les cheveux ?
ELENA
Oui, quand je me suis levée, j’ai cru que tu étais parti, que tu ne m’aimais plus. J’ai cru devenir folle. J’avais besoin de me défouler. (sourire) C’est ta mère qui a arrêté le massacre dans la cuisine.
RALF
Effectivement, tu t’es pas loupée.
Ils rient ensemble.
RALF (de nouveau sérieux)
On va partir d’ici, Elena. Je veux dire. Ensemble. On va se trouver un foyer. Pour nous deux. D’accord ? Je vais changer de boulot dès que je peux. Et on sera heureux, d’accord ? Heureux malgré tout, d’accord ?
ELENA
Oui.
RALF
Et tes cheveux repousseront et oui, nous serons heureux.
Quelques années plus tard, pont entre les deux rives, petit matin, brume
Musique Us and Them de Pink Floyd.
La scène représente une des scènes originales de la vidéo Us and Them. Plan sur les chaussures de cadres dynamiques qui traversent le pont reliant l’Allemagne de l’ouest à l’ancienne Allemagne de l’est. La caméra remonte aux visages des hommes qui traversent ce pont pour aller travailler. Il fait froid, ils sont en manteaux noirs. Aucun ne dénote l’un de l’autre, ils sont presque tous comme en uniforme. Parmi eux, on reconnaît, anonyme, Ralf.
FIN