Julien Green en son Journal: "Le secret, c'est d'écrire n'importe quoi, parce que lorsqu'on écrit n'importe quoi, on commence à dire les choses les plus importantes".
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À Montpellier, ce vendredi 2 janvier 2014.- Nous avons quitté La Désirade sous la neige, ce matin, pour descendre la vallée du Rhône en (bonne) compagnie (au micro de Jacques Chancel) d'Elisabeth Badinter, excellente dans sa récusation polémique mais point exclusive de l'instinct maternel, Raymond Aron dont la lucidité de pessimiste actif nous manque aujourd'hui, puis de Jean Clair, dont je nous ai lu quelques pages toniques de son Journal atrabilaire, et enfin de Patricia Highsmith avec une nouvelle évoquant l'exclusion progressive d'un type par ses amis, qui finissent par le tuer en le poussant à boire et en l'humiliant. Une fois de plus, je suis impressionné par l'empathie qu'on pourrait dire vengeresse de cette implacable observatrice de la cruauté ordinaire, que je retrouve ce soir dans son premier roman, point encore lu jusque-là, mais vu au cinéma puisque Hitchcock a tourné L'Inconnu du Nord-Express. Or tout était déjà là, chez la jeune romancière, de son regard prodigieusemenet pénétrant et de son imagination panique, sous l'enseigne du plus pur mimétisme selon René Girard. L'amitié amoureuse qui porte Bruno, le fils à maman désoeuvré et pervers, à proposer à Guy le plan de deux meurtres croisés à tournures de "crimes parfaits", parce que sans mobiles repérables, relève en effet de la relation fondamentale décryptée par Girard, mais rien pour autant de systématique ou de démonstratif dans l'intrigue et les personnages de la future créatrice de Tom Ripley, qui ne sera pas moins "tordu" que les deux voyageurs...
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Victor Hugo dans l'intro de son Shakespeare : "Il y a des hommes océans en effet. Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l'écume, ces merveilleux levers d'astres répercutés dans o nne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l'innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l'abîme; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas,ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l'horizon, ce bleu profond de l'eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l'assainissement de l'univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait; ces colères et ces apaisements, ce tout dans un, cet inattendu dans l'immuable, ce vaste prodige de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l'immensité éternellement émue, cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s'appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange,vous avez Shakespeare, et c'est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l'océan".
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Un nouvel ami fragile, rencontré naguère sur la Toile, souvent ensuite sur Facebook, et se pointant soudain en 3D au restau du Novotel, me touche par sa présence et son étrange, émouvant strabisme. Changement de mode et de fréquence parfois redoutable, mais en l'occurrence on renoue illico de bonnes ondes, déjà perçues par son écriture, sienne en diable et diablement prometteuse, du côté de Brautigan. Magie hasardeuse, et parfois merveilleuse, de ce passage du virtuel au plus-que-réel...
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Jean Clair à propos du journal dit intime et souvent extime: "Le suicide, comme le plus court chemin de soi à soi. Un journal, comme mise à distance de soi à soi".
À Toulouse, ce dimanche 4 janvier. - Lorsque je l'ai rencontrée en 1989, à Aurigeno, et que je lui ai demandé ce qui, selon elle, poussait l'homme au crime, Patricia Highsmith ma répondu sans hésiter: l'humiliation. Lors de la même rencontre, fatiguée de parler d'elle et s'apercevant que je connaissais Simenon, elle m'a soumis à un interrogatoire serré dont les réponses ont en partie nourri, quelques semaines plus tard, une double page consacrée par elle à Simenon dans le journal Libération. Or nous faisant la lecture, entre Montpellier et Toulouse, de La boule noire de Simenon, roman de la série "dure" et, plus précisément, de l'époque américaine, de ce que le romancier appelait ses "romans de l'homme", j'y ai trouvé un véritable concentrée des thèmes de cet incomparable médium de la condition humaine, dans ce roman d'une extraordinaire densité psychologique, très nourri de la souffrance personnelle de l'écrivain dans son rapport avec sa mère, et débrouillant merveilleusement les relations complexes d'un "petit homme", venu de tout en bas, avec le milieu bourgeois snob auquel il aimerait se trouver intégré, symbolisé par le country club de cette petite ville du Connecticut. Comme dans Le Bourgmestre de Furnes, l'un des rares romans balzaciens de Simenon, qui évoque l'ascension sociale d'un personnage jamais adapté à la "haute" qu'il rejoint, le personnage de La Boule noire pourrait basculer d'un moment à l'autre dans ces états de fuite, de rejet violent ou même de criminalité qui marquent,chez beaucoup de personnages de Simenon, ce qu'il appelle lui-même le "passage de la ligne". Après son humiliation, le protagoniste est tenté de "tous les tuer", puis il devient une sorte d'ennemi de classe des nantis qui ont refusé de l'accueillir, avant de se trouver confronté, apès la mort misérable de sa mère, kleptomane et pocharde perdue, à son enfance désastreuse, et de rebondir finalement contre toute attente, non du tout pour un happy end mais dans une sorte d'acquiescement pacifique préludant en somme à la dernière philosophie du vieil écrivain des Dictées à Teresa...
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Jean Clair à propos de L'enfance fantôme: "Les souffrances, les peurs, les humiliations subies dans l'enfance, on les retrouve parfois comme une vieille blessure, avec un pouvoir intact de faire mal. Sur le coup, quand on les avait éprouvées, anesthésié par le choc, on n'avait rien senti, tout entier mobilisé pour survivre à ces années noires. Mais longtemps après, des décennies plus tard, parfois dans l'opulence et tout souci disparu, la douleur que l'on croyait éteinte se réveille, aussi vive que dans le passé, plus mordante encore d'insister, comme un membre fantôme qui vous dévore alors qu'il n'est plus là, comme si le mal ne vous avait jamais quitté et qu'il n'avait servi à rien de vieillir".
Jean Clair. Journal atrabilaire. Folio, 2006.
Christophe Bataille. L'expérience. Grasset, 2015.
Sigismund Krzyzanowski. Fantôme. Verdier, 2012.