À propos de Mahomet, star médiatique virtuelle et suppôt de Satan selon les versets de La Divine Comédie de Dante...
"ll faut s'y faire: Mahomet est désormais la grande vedette du spectacle mondial. Je m'efforce de prendre la situation au sérieux, puisqu'elle est très sérieuse, mais je dois faire état d'une certaine fatigue devant la misère de son ascension au sommet. Bien entendu, je me range résolument du côté de la liberté d'expression, ma solidarité avec Charlie-Hebdo et Le Canard enchaîné est totale, même si les caricatures ne sont pas ma forme d'art préféré. Que ces inoffensives plaisanteries, très XIXe siècle, puissent susciter d'intenses mouvements de foules, des incendies, des affrontemens, des morst, voilà qui est plus pathologiquement inquiétant, à supposer que le monde où nous vivons soit tout simplement de plus en plus malade. Il l'est, et il vous le crie. Là-dessus, festival d'hypocrisie générale qui, si mes renseignements sont exacts, fait lever les maigres bras épuisés de Voltaire au ciel. On vite de se souvenir qu'il a dédié, à l'époque, sa pièce Mahomet au pape Benoît XIV, lequel l'a remercié très courtoisement en lui envoyant sa bénédictio apostolique éclairée. Vous êtes sûr ? Mais oui. Je note d'ailleurs que le pape actuel,Benoît XVI, vient de reparler de Dante avec une grande admiration, ce qui n'est peut-être pas raisonnable quand on sait que Dante, dans sa Divine Comédie, place Mahomet en Enfer. Vérifiez, c'est au chant XXVIII, dans le huitième cercle et la neuvième fosse qui accueillent, dans leurs supplices affreux, les semeurs de scandale et de scisme. Le pauvre Mahomet (Maometto) se présente comme un tonneau crevé, ombre éventrée "dumenton jusqu'au trou qui pète" (c'est Dante qui parle, pas moi). Ses boyaux lui pendent entre les jambes, et on voit ses poumons et même "le sac qui fait la merde avec ce qu'on avale"). Il s'ouvre sans cesse la poitrine, il se plaint d'être déchiré. Même sort pour Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife. Ce Dante, impudemment célébré à Rome, est d'un sadisme effrayant et,compte tenu de l'oecuménisme officiel, il serait peut-être temps de le mettre à l'Index, voire d'expurger son livre. Une immense manifestation pour exiger qu'on le brûle solennellement me paraît inévitable. Mais ce poète italien fanatique n'est pas le seul à caricaturer honetusement le Prophète.Dostoïevski, déjà, émettait l'hypothèse infecte d'une probable épilepsie de Mahomet. L'athée Nietzsche va encore plus loin: "Les quatre grands hommesqui, dans tous les temps, furent lesplus assoiffésd'action, ont été des épileptiques (Alexandre, César, Mahomet, Napoléon)". Il ose même comparer Mahoet à saint Paul: "vec saint Paul, leprêtre voulut encore une fois le pouvoir. Il ne pouvait se servir que d'idées, d'enseigements, de symbolesqui tyrannisent les foules,qui forment les troupeaux.Qu'est-ce que Mahomet emprunta plus tard au christianisme ? L'invention de saint Paul, son moyen de tyrannie sacerdotale, pour former des troupeaux: la foi en l'immortalité,c'est-à-dire la doctrine du Jugement".
On comprend ici que la question dépasse largement celle des caricatures possibles. C'est toute la culture occdentale qui doit être revue, scrutée, épurée,rectifiée. Il est intolérable, par exemple, qu'on continue àdiffuser L'Enlèvement au sérail de ce musicien équivoque et sourdement lubrique, Mozart. Je pourrais, bien entendu, multiplier les exemples."
Extrait de Littérature et politique, de Philippe Sollers. Flammarion, 2014. 807p.
L'article Mahomet date du 26 février 2006.