Quatrième lever douloureux… De battre mon cœur s’est arrêté : c’est un cliché, mais il correspond bel et bien à mon état d’esprit. J’ai appris hier que je n’étais pas le seul dessinateur dont les crayons ont été brutalement (mais temporairement) cassés par cette épouvantable tragédie, même certains professionnels du « Canard » y ont perdu leurs moyens… Ceci pour dire que nous autres, les gribouilleurs, ne sommes pas des machines à produire de l’impertinence au kilomètre mais des êtres humains avec un cœur, un corps, des sentiments et qu’il peut arriver que l’émotion nous submerge au point de nous brider, ce qui ne signifie pas que nous nous autocensurons mais que nous avons une faiblesse passagère comme peut en avoir n’importe quel autre travailleur – car oui, le dessin, c’est un métier, peut-être plus agréable que celui du forgeron ou du menuisier mais certainement pas moins exigeant en efforts, en volonté et en concentration ! Réaliser le dessin ci-dessus hier m’a demandé l’un des plus gros efforts moraux que j’ai jamais dû fournir depuis des années. Certains m’ont dit qu’ils auraient préféré que j’adopte un autre angle de vue, que je caricature les événements ou le « raout » médiatique : oh, hé, l’inspiration, ça ne se commande pas, surtout quand on en a gros sur la patate !
Tiens, parlons-en de ce « raout » médiatique : il fallait s’y attendre, les sales gosses de service, ceux qui se prennent pour de dangereux rebelles sous prétexte qu’ils ont osé grimacer dans le dos du prof, se sont mis à crier « haro » sur la récupération politicienne ! C’est un réflexe pavlovien, dès qu’un élu ose dire que le ciel est bleu, ils se sentent obligé de dire qu’il est marron de peur de passer pour des « bobos-bien-pensants-politiquement-correct » : ce réflexe les pousse souvent à n’importe quoi, y compris à prendre la défense de Zemmour ou de Dieudonné… La critique des hommes politiques de tous bords est légitime, elle est l’un des privilèges auxquels nous donne accès la chance de vivre dans un pays démocratique, mais quand elle est systématique, elle devient contre-productive. Dans le cas du FN, les accusations de récupération sont on ne peut plus fondées puisque ce parti maudit s’est découvert du jour au lendemain une vocation de défenseur de la liberté d’expression après avoir toujours harcelé Charlie hebdo ! Mais dans le cas de François Hollande, cette accusation serait malhonnête puisque, non content d’avoir pour une fois agi en vrai chef d’Etat au cours de cette semaine particulièrement éprouvante, il avait déjà témoigné en faveur de l’hebdo satirique en 2006 au cours de la fameuse affaire des caricatures danoises…
Conclusion : Chers amis, un peu de décence. Nous sommes déjà assez tristes comme ça, n’y ajoutons pas des reproches sans fondement : la faiblesse qu’éprouvent les dessinateurs satiriques est on ne peut plus légitime à une heure où leur profession est attaquée et il est parfaitement normal qu’ils mettent temporairement de côté leurs attaques contre les élus en acceptant tous les messages de soutien, ce qui ne les empêche pas de rester un minimum lucide et de ne pas tomber dans le piège qu’essaient de leur tendre les politiciens xénophobes trop heureux d’avoir un prétexte pour taper sur les musulmans.