En mars 2014 j'ai publié un post sur BrandWatch intitulé "Comment réinventer Gucci (1) - Etat des lieux" (que vous pouvez relire ici). Le constat était simple: la marque phare de Kering est en panne. Bien plus il semble qu'elle soit en voie de banalisation et risque de perdre son aura de marque de luxe (multiplication des produits d'entrée de gamme; ouverture de points de vente en trop grand nombre..). Arrivé en 2008, Patrizio di Marco avait tenté de repositionner la marque depuis 2010 - en augmentant le prix moyen de vente de 41% et en diminuant la proportion de produits "logo", laquelle est passée de 85% à moins de 50%. Mais cela n'a pas suffit pour enrayer la chute. La sanction est tombée en décembre 2014: Patrizio di Marco (CEO) et Frida Giannini (Directrice de Création) quittent la marque, lui au 1er janvier, elle fin février après la présentation de la collection femme Automne-Hiver 2015-2016. Pourquoi ce double départ?
Je voudrais mettre l'accent sur deux problèmes fondamentaux de la marque Gucci - qui ont vraisemblablement compté très largement dans cette décision:
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Le dévoiement de la notion de Directeur de Création: on oublie trop facilement que Tom Ford - lequel a été Directeur de Création de Gucci de 1994 à 2004 - a "inventé" le rôle de Directeur de Création. Ce faisant il a fait passer dans la modernité les marques de luxe issues de la mode & des accessoires: une personne devenait responsable de l'ensemble de la dimension créative d'une marque. Au créateur/styliste succédait celui/celle qui dirigeait tout ce qui relève de l'identité de marque: le style, la communication, le concept boutique, les évènements, etc.. Tom Ford était le premier ambassadeur de la marque - lors des défilés mais plus encore lors des évènements mondains mondiaux. Le Directeur de Création est en quelque sorte le "gardien du temple" de la marque. Frida Giannini laquelle succéda à Tom Ford en 2006 (après le court intermède Alessandra Fachinetti) n'est jamais arrivée à donner une image forte à la marque - ni dans l'unité stylistique, ni en capitalisant sur le "sex quotient" dont Tom Ford avait doté la marque. Comme le note Nicole Phelps sur style.com "from a fashion perspective, the problem with Giannini’s style, if there was one, was the unpredictability of her collections—1920s Art Deco one season, followed by Arthur Rimbaud-influenced decadence the next, and after that Marella Agnelli’s 1960s chic. Though less radical, Giannini belongs to the Marc Jacobs school of design, one in which newness counts for more than consistency". De la même manière les boutiques Gucci sont restées "bloquées" sur un concept daté à une période où l'importance de l'expérience client est fondamentale et où le concept boutique en est un élément majeur. Perte de créativité, questions légitimes sur l'identité de la marque: nous avons là tous les ingrédients d'un affaiblissement de la Direction de la Création.
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Une erreur symbolique du "duo" CEO/Directeur de Création: Gilles Auguste et moi dans notre livre récent "Luxury Talent Management" (Palgrave Macmillan, 2013) montrons qu'au coeur du succès des 20 dernières années dans le luxe se sont trouvés des "duos" associant un Directeur de Création et un CEO (Domenico DeSole & Tom Ford chez Gucci; Patrizio Bertelli & Miuccia Prada chez Prada; Stanislas de Quercize & Nicolas Bos chez Van Cleef & Arpels...). Ces duos assurent la cohérence du développement de la marque dans sa dimension créative et sa dimension business. En 2011 Patrizio di Marco et Frida Giannini avaient officialisé leur relation: nous avions donc à la tête de Gucci un "vrai" couple - comme chez Prada. Mais il existe une différence majeure entre Gucci et Prada: di Marco et Giannini sont des salariés alors que Bertelli et Prada sont des propriétaires. Il faut se rappeler que les marques et les groupes de luxe sont des sociétés familiales (Kering, Richemont et LVMH aussi bien entendu, avec les familles Pinault, Rupert, Arnault). Des dirigeants salariés ne doivent jamais l'oublier: ils doivent se conformer aux règles des sociétés familiales - et en particulier ne pas agir avec des symboles qui peuvent faire croire aux propriétaires qu'ils ne se pensent pas (que) en salariés.