Il fallait être particulièrement organisé, lève-tôt ou chanceux hier, pour obtenir son Charlie. Tout ce que je n’étais pas. Il était prévisible que la ruée sur l’emblématique journal ne laisserait que peu de chances aux amateurs dans mon genre.
C’en était même gênant, au point qu’on pouvait se demander si ceux qui n’avaient pas mis toute leur volonté à se procurer un Charlie, étaient de bons Français. Ce qui m’a rappelé ces films d’histoire où sous l’Occupation, les Parisiens faisaient la queue devant les épiceries pour une paire d’œufs ou une tablette de beurre. Ici, sur les vitrines de mon marchand de journaux, une grande feuille blanche avec inscrit à la va-vite, « Plus de Charlie. Prochaine livraison demain. Nous ne prenons plus les réservations. »
N’avaient été servis, j’imagine, que ceux venus dès l’ouverture du kiosque, ou bien de mèche avec la vendeuse. Les autres, un par un, nous nous heurtâmes au déficit de stock et à la réponse négative et lassée déjà de la marchande. Certains pensèrent aller voir ailleurs, récapitulant les rares libraires de notre secteur, mais c’était peine perdue, chacun le savait bien. A bientôt neuf heures du matin, quel naïf pouvait espérer quelque chose ?
J’étais venu par acquis de conscience, donc ni déçu, ni surpris, je me suis amusé à observer les lecteurs potentiels mais bredouilles, des petites dames bien gentilles ou des petits vieux qui certainement ne connaissaient même pas le journal quelques jours plus tôt. Ils venaient là, l’acquérir non pour son contenu mais par ce qui pourrait s’apparenter à un geste civique. Loin de moi l’idée de critiquer, il fallait que ce numéro soit distribué en masse et il l’a été, pour démontrer son effet de force. Mais c’est dans trois ou six mois, qu’il faudra que les acheteurs d’hier restent assez nombreux pour que Charlie subsiste. Et ça, c’est une autre histoire… qu’on souhaite longue encore.