J'ai décidé de diffuser sur ce blog des dessins de Charlie Hebdo, dans un bloc intitulé La minute Charlie situé dans la colonne de gauche et mis à jour régulièrement. Tous les dessins que je choisirai ne seront probablement pas politiquement ou religieusement corrects, certains m'auront même personnellement choquée dans mes convictions, par exemple dans leur anticléricalisme forcené qui me heurte souvent. Pourquoi cette décision ? Parce que la liberté d'expression, ce n'est pas seulement quand on est d'accord. C'est facile de défendre le droit d'exprimer des idées que l'on soutient ou du moins que l'on comprend... Je me serais sans doute arrêtée à dire « Je suis Charlie » et à assister au grand rassemblement, peut-être à acheter sans en faire tout un plat les prochains numéros pour que le magazine survive, mais certaines prises de position récentes m'ont interpellée. S'il y en a qui participent à un débat de société sur les limites de la liberté d'expression (incitation à la violence, à la haine... l'apologie du terrorisme en fait-elle partie ? quelle distinction faire entre l'humour et le premier degré ? etc.), d'autres m'inquiètent fortement, notamment de la part de certains représentants religieux (musulmans, juifs et chrétiens).
Le droit à la satire, et notamment au blasphème, me paraît extrêmement important. Le terme même de blasphème est pour moi un anachronisme, de par mon éducation pourtant chrétienne, et quelle n'a pas été ma stupeur de l'entendre brandi partout autour de moi... ce qui m'a forcée à reconnaître qu'il me manquait des éléments du débat, que certaines choses que je trouve évidentes ne le sont pas du tout pour d'autres. Chacun a le droit de croire ce qu'il veut, mais chacun a aussi le droit de critiquer et de rire des croyances, ou des institutions religieuses (les siennes et celles des autres). C'est même un fonctionnement très sain à mes yeux, tant qu'on ne tombe pas dans l'incitation à la discrimination ou à la violence. Être exposé à différentes idées, même si on ne les adopte pas pour autant, c'est quelque chose qui manque apparemment à bien des gens... Je ne vois pas pourquoi la religion jouirait d'un statut à part alors qu'on a le droit de rire de tout un tas d'autres croyances, idéologies et comportements, de la politique à la mode en passant par la philosophie de vie.
Mon frère est athée. Il n'a pas de religion mais plutôt une absence de religion, ou une philosophie. Pourquoi aurait-on plus le droit de se moquer de lui ou de critiquer ses convictions que des miennes, simplement parce que je les mets en partie sous une étiquette chrétienne, ou que de celles d'amis plus pratiquants ? Pourquoi aurait-on le droit de se moquer de moi, de s'opposer à mes idées, de mettre en avant mes contradictions parce que je suis contre le capitalisme libéral, pour la démocratie participative, ou que je défends la médecine douce et l'agriculture bio, mais pas parce que je crois en Dieu ? Pourquoi aurait-on le droit de critiquer les institutions politiques et ceux qui les représentent, mais pas les institutions religieuses ? Au nom d'un « sacré » bien commode ? C'est oublier bien vite que bien des gouvernements se sont mis et se mettent encore à l'abri des critiques de la même façon.
On accuse Charlie de faire de la provoc', de diviser à une époque où l'on n'a que les mots rassemblement et unité à la bouche. Mais aussi grisant et rassurant qu'était ce grand rassemblement dimanche dernier, il ne faut pas se leurrer sur une prétendue unité concernant les mesures à prendre, même parmi ceux qui faisaient partie des cortèges. Se rassembler, c'est bien dans des moments pareils, mais ça ne fait pas tout. L'unité est vite récupérée à fins politiques pour montrer du doigt tous ceux qui vont contre, tous ceux qui critiquent, et l'une des solutions est justement de secouer les gens pour les mettre face à leurs contradictions, les pousser à réfléchir plus loin que le bout de leur nez. L'humour est pour cela une arme redoutable, qui présente l'avantage de ne pas laisser d'autres séquelles qu'un éventuel bourgeonnement de l'esprit critique. Utilisons-la et n'en ayons pas peur.
J'ai choisi comme première caricature un dessin du pape François, que j'apprécie pourtant beaucoup. Une façon pour moi de commencer par attaquer ma propre chapelle, mais également de protester contre sa déclaration récente qui mettait bien trop de « mais » à la liberté d'expression (notamment : « On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision ») et qui l'a fait baisser dans mon estime. Condamner la violence avant de dire que quelqu'un qui insulte sa mère doit s'attendre à un poing dans la figure, je trouve ça limite, surtout pour quelqu'un qui est censé donner l'exemple. Sans aller jusqu'à tendre l'autre joue, il y a des façons plus constructives de réagir...