Pape Diouf : « Dans les cités des quartiers Nord, l’intégration n’a pas réussi. C’est cette fracture qui peut engendrer des extrémismes. » PHOTO GUILLAUME RUOPPOLO
On connaissait le président de l’OM. Mais Pape Diouf a longtemps été journaliste à La Marseillaise. La liberté d’expression compte pour lui mais ce pratiquant modéré, (« L’Islam est une affaire complètement privée pour moi ») comprend le malaise des musulmans. Ses explications…
Êtes-vous Charlie ?
Pape Diouf : Non, je ne suis pas Charlie dans le sens où on l’entend. J’ai condamné ce qui s’est passé, et très fermement. J’ai beaucoup de compassion mais je n’aime pas les mouvements de foule spontanés. Je ne souhaite pas me retrouver entre des opportunistes et des hypocrites.
À Marseille, l’immense majorité des musulmans n’est pas Charlie. Faut-il l’accepter ou entamer le débat pour modifier les jugements ?
Pape Diouf : Mais pourquoi donc faut-il être Charlie pour être comme tout le monde ? On peut ne pas accepter cette définition et être humaniste, refuser toutes les formes d’extrémisme et de barbarie. La liberté d’expression n’a pas la même signification pour tout le monde. Quand on sait où les caricatures peuvent amener, quand on sait les conséquences qu’elles peuvent avoir, on doit se montrer responsable plutôt que de privilégier le plaisir personnel.
D’un côté, il y a ceux qui sont blessés par les caricatures, de l’autre, ceux qui pleurent les victimes des attentats. Les douleurs sont-elles comparables ?
Pape Diouf : Il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur. La douleur est similaire en toutes circonstances. Mais ce que je voudrais dire c’est qu’il faut arrêter de parler de valeurs. Elles n’appartiennent à personne. Je m’explique. Quand on dit, la liberté d’expression fait partie de nos valeurs, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas une valeur, c’est une pratique. Une valeur ici n’est pas une valeur en Orient ou en Afrique. C’est comme exciser une femme. Il s’agit d’une pratique traditionnelle mais qui est manifestement négative. Une valeur est universelle, humaniste et positive. Elle doit être vraie partout.
Le Sénégal, votre pays d’origine, a interdit « Charlie Hebdo ». Approuvez-vous cette décision ?
Pape Diouf : Je comprends cette décision même si je peux ne pas l’approuver.
À Marseille, les cités des quartiers Nord sont essentiellement musulmanes et très pauvres. A-t-on définitivement raté la mixité sociale et faut-il s’en inquiéter ?
Pape Diouf : Oui, il faut s’en inquiéter L’intégration n’a pas réussi. Cette fracture, cette inégalité engendrent les extrémismes. L’égalité absolue n’existe pas mais il faut faire en sorte que chacun estime appartenir à une société. Si on s’éloigne de ça, on s’animalise. Il faut réduire la fracture pour que cette population ne bascule pas dans la désespérance. On sait les risques que prennent les gens qui quittent leur pays, traversent les mers avec leurs enfants, uniquement pour chercher la survie. Pour eux, la mort ne représente plus rien parce qu’ils sont en plein désespoir. Il faut éviter d’arriver à ce désespoir parce que c’est ainsi qu’on arrive aux extrémismes.
On va démolir deux bâtiments à la cité la Castellane, ce qui doit permettre d’éradiquer le trafic de drogue. Que vous inspire la méthode ?
Pape Diouf : Honnêtement, c’est la politique de l’autruche. Ce n’est pas ainsi qu’on va combattre le trafic. La solution n’est pas répressive mais préventive. Il faut prendre en compte les réalités sociales.
Parlons football maintenant. Existe-il une méthode Bielsa et vous paraît-elle bonne ?
Pape Diouf : L’OM a su tirer le meilleur parti du vrai nivellement des valeurs. Lille a plongé quasiment d’entrée. Bordeaux a été un feu de paille. Lyon, en dépit de sa position au classement, est fragile à cause de sa jeunesse. Quant à Paris, il ne justifie pas son énorme potentiel. Le grand mérite de l’OM aura été de tirer le meilleur parti de cette situation. Pour répondre précisément à votre question, l’effet de l’entraîneur ne se mesure qu’après la deuxième saison.
L’OM sera-t-il champion ?
Pape Diouf : En faisant le pronostic du coeur, je dirais oui. Mais la raison impose de faire des objections. J’espère cependant qu’on tiendra jusqu’au bout.
Revenir diriger l’OM, ça vous tente ?
Pape Diouf : Non, ce n’est pas mon objectif, j’ai tourné la page. Je suis redevenu le supporter de base que je suis depuis 40 ans.
Et pour la mairie, la page est tournée aussi ?
Pape Diouf : Ce que j’ai toujours voulu faire c’est participer à la vie publique de Marseille. Et je vais continuer en créant une fondation à but citoyen, avec des actions tournées vers la jeunesse. Et je peux vous dire que la mairie, le Conseil général et la Région m’ont donné quitus.
Une fondation mais pour quoi faire ?
Pape Diouf : Pour ramener les jeunes vers la politique, mais dans le sens grec du terme, c’est-à-dire pour les faire participer à la gestion de la cité. Il y a aura des actions au quotidien, des débats, des conférences, des interventions dans les cités. On met en place les statuts. On espère être prêts dès cette année. Dans cette période d’incertitude et de tourments, je crois que c’est le bon moment.