Oui, je sais, je suis en retard sur octobre rose ... Mais en octobre, je n'étais pas vraiment opérationnelle.
Le décor : un de ces immenses appartements haussmanniens près de l’Étoile, avec un ex-salon de réception en rotonde décoré jadis de pâtisseries et aujourd'hui cloisonné pour ménager des alvéoles propres à adosser plus de chaises d'attente. L'organisation est quasi militaire, c'est de la mammo en série. L'avantage, c'est qu'il n'est pas nécessaire de fournir une ordonnance pour être prise en charge (tout du moins pour une ex-victime comme moi). Ensuite, c'est le ballet des assistantes qui viennent chercher les patientes une à une pour aller se faire écraser et photographier les seins. Dix minutes après « vous enlevez le haut », « respirez », « ne respirez plus », on vous ramène à votre chaise, c'est alors le radiologue qui vous emmène dans son cabinet, dans la pénombre nécessaire à l'échographie. Généralement c'est le moment du verdict : rapide s'il n'y a rien, on voit ça tout de suite, on plaisante … La douche froide la première fois qu'on vous annonce : « Il y a un truc opaque, là … Vous devez aller consulter ... »
Je ne sais pas si c'est pénible à annoncer, mais je me souviens de la douche glacée quand j'ai entendu ces quelques mots … justement à l'occasion d'un contrôle. Il y avait deux ans que je n'avais pas renouvelé cet examen, je me croyais invulnérable. Je n'avais pas le temps … Pourtant, depuis quelques mois, je sentais un truc qui me gênait au niveau de la fermeture du soutien-gorge … Et puis, la femme de mon meilleur ami venait de mourir d'une récidive.
Bref, c'était en 2001, le début de vrais emme... si j'avais su, je n'aurais jamais laissé s'allonger ce délai.
Donc, après dix ans de thérapie lourde puis de surveillance annuelle à l’Institut Curie, j'ai été déclarée guérie. A moi de reprendre à mon initiative le contrôle annuel mais en médecine de ville. C'est à dire, aussi, que je suis susceptible de refaire un nouveau cancer comme n'importe quelle femme … dans l'autre sein, ou même, mais c'est rarissime, dans le sein reconstruit avec un morceau de mon ventre. Alors j'ai droit à des examens des deux côtés ...
Je reviens dans la grande salle d'attente soulagée après le dialogue avec le médecin échographe. Le temps de régler les détails administratifs et financiers. Je regarde autour de moi : toujours le ballet des appels, les allers-et-retours … Il y a des femmes de tous âges, certaines se déplacent avec peine. Il fait froid aujourd'hui, nous sommes toutes harnachées comme pour partir avec un muscher, son traîneau et ses chiens. Se lever prend un temps fou … Elles sont à 95 % en pantalon, la plupart habillées chic. Ici, on est en « honoraires libres ». La très grande majorité – sauf moi – a changé sa couleur de cheveux, mais je remarque la préoccupation sur les visages. Ils sont uniformément graves, voire terreux … Est-ce la couleur beige des murs ? Ce n'est vraiment pas un moment agréable que nous passons, l’œil dans le vague, un épisode à chaque fois redouté. Certaines sont venues avec leur mari. J'en vois une se lever sur des talons extra-hauts et fins et un collant tellement serré qu'on aperçoit un petit triangle de peau claire en haut de son dos … Elle porte les cheveux sur les épaules, noir « aile de corbeau ». Son homme – ou son « mec » - la surveille ... Au milieu de ces bourgeoises, c'est étrange.
Pourtant si nécessaire ! Car ce n'est pas de la blague, cette saloperie : le médecin me raconte qu'il a vu une tumeur chez une grand-mère de 96 ans. Je lui demande si ce genre de truc continue à évoluer à ce stade de la vie, elle me dit que oui, qu'il a fallu intervenir lorsque le second sein a été envahi. Je me souviens aussi de la gentille dame de 82 ans qui partageait ma chambre à la clinique : son cancer vieux de 17 ans refaisait surface, on l'avait détecté à l'occasion d'un contrôle de routine. On allait tout lui enlever cette fois, mais elle a déjà pris rendez-vous pour une reconstruction ! Ce qui est étonnant quand on songe que seules 25 % des patientes le font.
Alors, il ne faut pas laisser le temps passer : les matériels d'investigation font des progrès permanents. On va vous photographier les seins en 3D, ils sont – relativement – moins douloureux mais la qualité des images s'améliore, les échographes sont de plus en plus performants : autant de chances de détecter plus tôt un phénomène inquiétant, avant qu'il ne prenne des proportions dangereuses. Un traitement sera d'autant mieux supporté, même si, psychologiquement, c'est dur à avaler …
Mes chères sœurs : regardez la date de votre dernier examen et marquez sur votre agenda le prochain rendez-vous à prendre, dans votre organiseur, dans les notes de votre portable, faites des nœuds à tous vos mouchoirs !
Toutes à la mammo !