Voir un ami pleurer

Publié le 24 janvier 2015 par Orage

Christian Gagnon musicien1959 - 2015
Bien sûr, il y a nos défaites
Et puis la mort qui est tout au bout
Nos corps inclinent déjà la tête
Étonnés d´être encore debout

Mais voir un ami pleurer
Mais voir une amie pleurer
Je reviens tout juste de la cérémonie d'adieu en hommage à Christian Gagnon, l'amour de mon amie Josée. Une cérémonie sobre qui a connu deux moments particulièrement forts. Le témoignage de Josée évoquant cet amour partagé comme un voyage dans un univers magique, un monde de tendresse, de bonheur et d'amitié que Christian avait mis à ses pieds. Puis, à la fin, cet au revoir de son ami Karl Roos, son frère de musique et de scènes et sans doute son frère de larmes.
Des larmes, j'en avais plein le cœur cette semaine. La mort soudaine de ce musicien de 55 ans, ami par alliance – puisqu'il était l'ami de Karl et l'amour de Josée – a été comme un électrochoc. Comme si mes propres deuils s'emparaient de la douleur de mes amie et ami pour se raviver. Ma peine encore vive de la mort d'Édith et de Mady, il y a quelques mois, s'est fusionnée à l'effroi du chagrin inévitable des personnes aimées devant la brutalité de cette mort non annoncée. Ce matin, plus que jamais, le chant de Brel trouvait écho en moi. De tout ce qui se passe, de la rumeur assourdissante des souffrances en tout lieux de la planète et qui font mal, le plus lourd demeure la douleur de l'ami. Oui, il y a tant et tant de blessures... mais voir une amie pleurer.
Je n'ai pas fréquenté les chemins de Christian.  Le son de sa musique je l'ai entendue ce qu'en disait Karl. Je n'ai pas créé de lien avec Christian, sinon à travers les liens qui l'unissaient à Josée. J'apprenais à l'aimer à travers les mots de l'amoureuse heureuse. Des mots miroir d'un être bon, beau, généreux qui lui apprenait le bonheur. Cela me plaisait de me dire que j'étais à l'origine de cette rencontre en feux d'artifice.
Karl Roos et Christian Gagnon en 2008© Photo Rocket Lavoie - Archives Le Quotidien
En fait, j'ai rencontré Christian Gagnon en 2008, lors d'une entrevue journalistique pour le Progrès-Dimanche. Il accompagnait le chanteur Karl Roos. Tous deux se préparaient à partir en Belgique pour une tournée de spectacles d'un mois. Depuis deux ans, Christian était l'accompagnateur et arrangeur attitré de Karl. C'est alors que Christian me confie avoir retrouvé son plaisir de jouer du piano émoussé par 17 années de prestations dans les bars : « En travaillant avec Karl, en composant sur ses chansons, cela m'a permis de mettre le bout de mes doigts au bout de son cœur. »
Aujourd'hui, parmi ses amis et sa famille j'ai compris que ses doigts de musiciens ont touché plus d'un cœur.
 ***
Josée et Christian, été 2014Je souhaite avoir l'autorisation de publier les textes de Josée et de Karl. Il serait dommage que leurs mots, si beaux, se taisent déjà.
Lettre de Josée
Mon chéri
Mon amour
Mon complice
Tu disais toujours, moi je suis le gars de musique, toi t’es la fille des mots.
Un exemple parmi tant d’autre qui prouve à quel point nous nous complétions.
Tu as su me charmer avec ta musique, me réconforter et même me faire chanter. 
C’est à mon tour maintenant de t’honorer.
Chéri, regarde tout ce monde ici venu te saluer.
Tu étais estimé et aimé Christian et tu as su toucher le cœur de bien des gens et de toutes les manières.
Dévoué
Généreux
Rassembleur
travaillant
Tu as été de tous les projets et de toutes les implications.
Tu ne disais jamais non mais plutôt…. quand?
Tu aimais les gens, tu aimais la vie…..Une vie intense, passionnée et riche ou il n’y avait jamais de place pour l’ennui.
Ton regard, ton sourire, ta joie vivre auront égayé bien des moments qui sont maintenant gravés dans nos mémoires.
Un homme de cœur
Un homme grand
Un homme au grand cœur.
Mais comme la vie nous joue parfois des tours, c’est justement ce grand cœur qui t’aura emporté.
Trop tôt
Trop jeune
Mon amour, notre vie à deux aura été de courte durée. Elle ne se calcule même pas en années.
Mais ces quelques mois avec toi, valent toute une vie.
Nous étions au paradis, sur terre et sur l’eau et nous avions des ailes.
Maintenant de retour à la maison auprès de mes garçons, de mes piliers, il n’est pas question de me laisser aller à la dérive même sans toi comme capitaine.
Je suis en paix en fait, car le souvenir de toi, de nous, de nos moments de bonheur, m’emplit la tête et le cœur de sérénité.
J’ai le sentiment de revenir à la maison après un voyage autour du monde avec toi, le meilleur des compagnons de route.
Un voyage autour du monde, autour de TON monde ou je n’aurai pas vu les plus belles merveilles du monde mais au cours duquel je les aurai vécues, grâce à toi.
Un voyage autour de TON monde qui m’aura permis de rencontrer tes enfants, et de partager de précieux moments avec eux.
De rencontrer ta sœur, tes parents, si aimant. Une famille précieuse qui m’a accueillie les bras ouverts.
Un voyage ou tu m’auras longuement parlé aussi de tes sœurs naturelles avec amour et que je connais déjà à travers toi.
Un voyage autour de ton monde  ou j ai pu rencontrer tes amis et qui sont devenus aussi les miens.
Des gens de cœur comme toi, que tu aimais tellement et que j’aime à mon tour.
Toi qui pensais à tout le monde et voulais leur bien, tu auras su m’entourer de la présence de TON monde,  afin que je ne sois pas seule après ton départ.
Notre voyage s’est terminé brusquement, alors que nos vols se sont séparés.
Tu as pris un long courrier vers des concerts à l’infini et moi je suis rentrée à la maison et j’ai défait mes valises.
Je ne suis pas triste car j’ai des tonnes de souvenirs de voyage qui m’habiteront encore longtemps et qui m’auront changée à jamais.
Je ne suis pas triste car tu m’as rendue heureuse et je me dois de le rester. Tu m’as appris à vivre tout simplement.
Mon chéri
Mon amour
Mon complice
Veille sur tes enfants, tes parents et tes sœurs et aime-les de la haut comme tu les aimais follement ici.
Trinque avec nous lorsque nous nous retrouverons entre amis en nous disant tes je t’aime sincères à l’oreille, entre deux accolades.
Aie un regard bienveillant sur tes compagnons musiciens tes compagnons de loisir et de travail. Ils en ont besoin. Tu leur manques terriblement.
Et parlant de travail fait taire le paget de temps à autre lors des gardes de nuit, afin de les laisser dormir :-))
Accompagne les voix des anges de tes chorales en pausant tes doigts sur leur cœur avec ta musique.
Amuse-toi, trinque à la vie que tu as eue et qui a été plus que bien remplie.
Et surtout
Veille sur moi.  Continue de m’aimer, me protéger, me guider et  me rendre heureuse, comme je ne l’avais jamais été.
Tu m’as comblée et le vide pour moi n’existera plus car je t’ai aimé et tu m’as aimé. Tu m’auras permis de grandir, de croire totalement en moi, tu m’as ouvert toutes les voies vers le bonheur.
Quand je te disais je t’aime, tu répondais toujours : fois 2
À mon tour de te dire, fois cent, fois mille et à l’infini.
Bon repos mon amour
Tu l’as mérité.

Ta perle adorée.
***
 Le mot de Karl Roos
Hommage à mon ami Christian Gagnon
Ce texte est une adaptation d’une chanson de Serge Lama et qui s’intitulait  Mon ami, mon maître que j’ai personnalisé pour l’occasion… le voici :
J'ai essayé plus de cent fois de vous parler de mon ami mais…
comment peut-on parler d'une église Dont l'accès vous est interdit?...
Pourtant.. aujourd’hui, j’ai un ressenti tellement familier que je me l’autorise….
D’ailleurs tu m’as appris que quand le soleil d’un cœur s'allume.. L'éteindre, ce serait un péché…
Il était mon ami, il a été mon frère…
il a été un merveilleux maître à travers un merveilleux ami…
Faire de la musique à ses côtés a été pour moi un voyage qui se termine
Physiquement aujourd’hui mais qui sera dans mon cœur et ma mémoire à jamais.
Je lui dois tellement…. Y compris, Ce que bien humblement je suis…
tu t’en vas, loin de nous, en emportant pour ton dernier voyage,
Quelques-uns de nos secrets qui me seront éternellement doux.
Ton amitié et ta fraternité étaient tellement grandes que même dans tes propres peines,
tu ne te souciais que de nous…
La vie ne t’a pas toujours fait de cadeaux, j’en suis malheureusement le témoin
je clame cependant haut et fort que je refuse de faire vivre ces choses dans ma mémoire,
Je préfère y faire survivre, le souvenir du dernier cadeau de Noël que tu m’as offert ainsi que ces merveilleux sourires que tu possédais au fond des yeux,,, si beaux et si doux….
C'était mon ami, il a été mon maître….
Je le vouvoierai encore longtemps dans mon cœur et dans mon esprit…
Quand j'avais mal en moi dans ma vie, Je passais une heure ou deux chez lui
parce que L'air que je respirais à ses côtés, malgré ses maudites cigarettes qui me faisaient peur,
C'était l'air le plus doux dans lequel il me faisait sentir important et son ami.
Il portait en lui, dur, comme une arme, Un orgueil au-delà de tout
Au point que même au bord de ses propres larmes, tout le monde pensait qu’il s’en foutait…
Mais ce n’était pas le cas et je le savais, je le sentais… nous étions des complices…
C'est lui qui a fortifié mon âme Et si je suis encore en vie
Je ne le dois pas à celle qui fait tout son possible pour me rendre heureux aujourd’hui,
Mais bien à lui…
En au revoir, je m’accorde la permission de dire devant vous tous ces mots que nous nous disions
A la fin de chacun de nos spectacles…. Belle prestation monsieur Gagnon.
Adieu frère, fais bon voyage
 Je t’aime
***
 
En complément, j'ose reprendre le texte de mon confrère et successeur à la direction des arts du journal Le Quotidien, disponible aussi sur le site Web de ce média, ici
Daniel Coté
Le Quotidien
Un musicien aussi généreux que doué
Christian Gagnon laisse un grand vide
(Chicoutimi) Le destin peut se montrer cruellement ironique. Le claviériste Christian Gagnon était l'un des piliers du spectacle bénéfice Des Bleuets et du cœur et justement, c'est ce cœur qu'il avait grand, ouvert à toutes les bonnes causes, qui lui a fait défaut dimanche.
Ce vétéran de la scène musicale est décédé à l'âge de 55 ans, dans sa résidence du lac Sébastien. Outre sa conjointe Josée Bourassa, il laisse dans le deuil une large communauté regroupant ceux qui ont partagé la scène avec lui, de même que le public qui l'a suivi dans ses différentes incarnations, de la chanson à texte au répertoire de Pink Floyd, en passant par le jazz.
« Christian a roulé à fond dans sa passion pour la musique. Tous ceux qui en font dans la région le connaissaient », a souligné Josée Bourassa hier, au cours d'une entrevue accordée au Quotidien. Présent à ses côtés, l'un des complices du disparu, Karl Roos, avait peine à contenir son émotion.
« Il était tout pour moi », a résumé le chanteur d'origine belge. Parmi les souvenirs qu'il chérira jusqu'à son dernier souffle, celui de leur première rencontre occupe une place de choix. C'était il y a 13 ans, alors que l'artiste se préparait à donner une première série de spectacles dans sa région d'adoption. Un pianiste lui avait fait faux bond à quelques jours d'avis et on l'avait mis sur la piste de Christian Gagnon, dont les états de service comprenaient une formation d'organiste au Conservatoire de musique de Chicoutimi, une belle carrière sur le circuit des pianos-bars, ainsi que des collaborations au sein de différents groupes.
« Ça prenait un homme de cœur pour surmonter le choc culturel découlant de mes origines belges. Ma façon de demander quelque chose peut être différente, par exemple, mais jamais Christian ne s'est impatienté. Lui qui ne voulait plus faire de scène a appris 22 chansons, dont plusieurs compositions. Il a été un frère pour moi », confie Karl Roos.
L'expérience fut si gratifiante que le claviériste s'est associé à d'autres projets par la suite, qu'il s'agisse du groupe Black Side, spécialisé dans le répertoire de Pink Floyd, ou de la formation jazz dont faisait partie son collègue Denis Landry. En même temps, il accompagnait des chorales à tous les dimanches, à Saint-Honoré et Saint-David-de-Falardeau.
Karl Roos a bénéficié de ce réseau de contacts lorsqu'il a créé le spectacle Des Bleuets et du cœur, il y a sept ans. Cette initiative ayant pour but d'aider les démunis n'aurait pas vu le jour autrement. « Comme je n'étais pas connu, je n'avais aucune crédibilité lorsque j'ai fondé ça. C'est Christian qui m'a permis de démarrer la machine », relate son ami.
Leur ultime rencontre a eu lieu le 27 décembre, au lac Sébastien. Les deux hommes ont fait de la musique ensemble, accompagnés par leurs proches. « On s'est bien amusés », décrit Karl Roos, à qui il n'est jamais venu à l'esprit que cette séance improvisée tiendrait lieu de cérémonie des adieux.
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