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Bonus philo

Publié le 27 janvier 2015 par Ctrltab

4bis

« Le bonheur humain est inséparable de la conscience explicite du bonheur ; comment un bonheur inconnu, un bonheur vécu, mais ignoré, pourrait-il encore être un bonheur ? Le bonheur est la conscience vécue et affective, mais il est aussi la conscience pour soi que l’on prend de l’accord de soi-même avec l’ordre du monde. Dire qu’un animal est heureux n’a d’autre sens qu’un sens analogique ; il n’y a pas de bonheur animal, parce qu’il n’y a pas de bonheur sans réflexion sur le bonheur.

A fortiori n’y a-t-il pas de bonheur animal pour l’homme, car ce serait le plus rudimentaire et le plus incomplet des bien-être, celui que l’on pourrait connaître par excellence là où l’on a le moins conscience de soi, dans le sommeil (…).

De la même façon, il faut briser la tradition et refuser de parler du bonheur des enfants. Leur naturel, leur animalité encore toute proche, leur insouciance, leur inadaptation immédiate à la situation du moment présentent certains des signes extérieurs classiques du bonheur. Une pédagogie idolâtre et sans virilité, sentimentalement préoccupée du présent de l’enfant plus que de son avenir, s’y est laissé prendre avec délice. Le « bonheur » de l’enfant est fait, en vérité, de naïveté, d’inconscience, d’irréflexion, de complète hétéronomie, de sécurité extérieure : tout y vient des autres, rien n’y vient de soi. Ce prétendu bonheur est condamné, de l’intérieur, par le désir de devenir grand, de devenir autre, de devenir adulte, par le refus du maintien dans l’état présent (…). Ce serait un bonheur dont l’enfant lui-même, s’il était capable d’en prendre une conscience plus réfléchie, ne se satisferait pas. Le bien-être biologique de l’enfant, qu’on ne niera pas, n’a rien à voir avec le bonheur, qui est un concept et une valeur d’adulte. Les identifier, rechercher l’idéal du second dans le premier, c’est, pour l’adulte, par nostalgie d’un état protégé et irresponsable, faire preuve d’infantilisme. »

Raymond POLIN, Du bonheur considéré comme l’un des beaux-arts, 1965.


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