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Michèle Finck | [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova]

Publié le 03 février 2015 par Angèle Paoli

Michèle Finck  |  [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova]
[CHOSTAKOVITCH, TSVETAÏEVA, AKHMATOVA]
C hostakovitch : Six poèmes de Marina Tsvetaïeva.
Bernard Haitink. Ortrun Wenkel.
" O muza platcha, prekrasnejchaya iz muz !
I ia dariu tebe svoj kolokolnyj grad,
Akhmatova! I siertse svoie v pridachu. "

Contralto creuse les graves. Creuse.
Lave de voix basse et nue. Chirurgicale.
Larmes pleurées et non pleurées. Galactiques.
Âpres. Percussion. Silence expectoré.
Don. Torche de sons brûlés vifs. Don.
Marina Tsvétaïeva : " À Anna Akhmatova "
"Ô muse des larmes, la plus belle des muses !
Je te fais don de ma cité aux mille clochers,
Akhmatova ― et j'y ajoute mon cœur. "

Michèle Finck, " VI - Golgotha d'une femme " in La Troisième Main, Arfuyen, Collection Les Cahiers d'Arfuyen, volume 218, 2015, page 100.
Michèle Finck  |  [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova]


LE LIVRE [EXTRAIT DU PRIÈRE D'INSÉRER DE L'ÉDITEUR]

En épigraphe de la note finale de son recueil, Michèle Finck a placé ce mot d'ordre de Rilke : " Faire des choses avec de l'angoisse. " [...] La Troisième Main a été écrit dans des circonstances très particulières : " Ce livre, composé d'une suite de cent poèmes d'extase musicale, a été écrit dans le noir et la pénombre, après une opération de la cataracte. Comme si, en opérant les yeux, on avait ouvert quelque chose de plus profond : brèche dans l'écoute ; non pas poèmes sur la musique, mais poèmes à et avec la musique ; poésie et musique intensément mêlées, qui tournoient tout au bord du silence. Noir avec torche de musique. "

Comment décrire la subtile alchimie qui transmute la musique entendue en poème, comme un précipité de quelques mots, nullement descriptifs ni impressionnistes, mais rendant la même chose autrement, par d'autres moyens qui ne sont plus les sons mais les mots, avec leur propre économie et leur rayonnement propre. Il s'agit de transcription comme telle ouverture d'opéra de Rossini ou telle symphonie de Beethoven a pu être transcrite pour piano solo par Liszt. Et l'étrange est que les noms des œuvres et des interprètes deviennent eux-mêmes comme des éléments du texte. Citons le premier de ces poèmes-transcriptions, comme un coup d'archet : " Bach : Cantate Ich habe genug. / Hans Hotter. Anthony Bernard. // Seigneur, c'est assez. Baryton descendu /Tout au fond des sons jusqu'à la douleur. / Tout au fond du silence jusqu'à l'amour. / La musique relie les vivants aux morts. / Elle est leur étreinte. Leur bouche-à-bouche. "

Ainsi chemine l'écriture en creusant sans cesse davantage, du Lamento d'Arianna de Monteverdi au Kat'a Kabanova de Janacek ; du Chevalier à la rose de Strauss à Sequenza III de Berio ; des Leçons de ténèbres de Couperin au Strange Fruit de Billie Holiday ; de la Lulu-Suite de Berg au Arsis et Thésis de Michaël Levinas.


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Ci-dessous, le texte intégral du poème de Marina Tsvetaïeva, mis en musique par Chostakovitch :
Ахматовой
О, Муза плача, прекраснейшая из муз!
О ты, шальное исчадие ночи белой!
Ты чёрную насылаешь метель на Русь,
И вопли твои вонзаются в нас, как стрелы.
И мы шарахаемся и глухое: ох! ―
Стотысячное ― тебе присягает: Анна
Ахматова! Это имя - огромный вздох,
И в глубь он падает, которая безымянна.
Мы коронованы тем, что одну с тобой
Мы землю топчем, что небо над нами - то же!
И тот, кто ранен смертельной твоей судьбой,
Уже бессмертным на смертное сходит ложе.
В певучем граде моём купола горят,
И Спаса светлого славит слепец бродячий...
И я дарю тебе свой колокольный град,
― Ахматова! ― и сердце своё в придачу.
19 июня 1916
À AKHMATOVA

O muse des pleurs, la plus belle des muses !
Toi, acolyte perdue de la nuit blanche !
Tu jettes sur les Russes ta sombre tempête
Et tes hauts cris nous percent, comme des flèches.
Nous bondissons de côté, et sourdement : ah! ―
Des milliers de fois ― nous te jurons fidélité. Anna
Akhmatova ! Ce nom même ― vaste soupir,
Tombe dans des profondeurs qui n'ont pas de nom.
Nous portons une couronne, à seulement fouler
La même terre que toi, sous le même ciel ― que toi !
Et celui que blesse ton destin mortel
S'étend immortel déjà sur son lit de mort.
Sur ma ville qui chante, les coupoles brillent,
El l'aveugle qui passe célèbre les louanges du seigneur...
― Moi, ― je t'offre ma ville avec ses cloches,
Akhmatova! ― et aussi mon cœur, en plus.
19 juin 1916
Marina Tsvétaïeva, L'Offense lyrique et autres poèmes, Editions Farrago | Editions Léo Scheer, 2004, page 195. Texte français Henri Deluy.


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