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Joël Bastard, Chasseur de primes par Paul de Brancion

Publié le 05 février 2015 par Angèle Paoli

Q uelque chose de désabusé dans ce Chasseur de primes de Joël Bastard ! Récit sans concession, mais à cœur ouvert.

Le poète, homme de lettres, passe une grande partie de sa vie à rechercher des engagements littéraires, résidences, ateliers d'écriture et autres interventions rémunérées pour vivre, puisqu'il a décidé de " faire métier des lettres ".

" Au bout de la énième résidence [...], on finit par se poser la question, mais qu'attend-t-on exactement d'un écrivain ? "

Et Joël Bastard de se poser la question de ce que lui-même attend de sa propre écriture, puisqu'il est écrivain. La réponse ne vient pas d'elle-même. Elle se fait par le livre qui, lui, ne s'éteint pas comme un ordinateur, mais contient " le bruit, la ville, le travail des jours. " Il y a pour Joël Bastard une évidence du livre qui efface les autres priorités.

D'abord être un " ouvrier de la langue ". L'écriture mène parfois au roman, le temps d'un ouvrage, mais " la poésie est l'écriture première, celle de l'évidence que l'on ne choisit pas. "

Le poète est conduit par une sorte de fil d'acier inoxydable qui le pousse sans répit à continuer sa conversation " avec l'esprit du doute ". Clairement, chez Joël Bastard, douter n'est pas baisser les bras. Et même si, certains soirs de découragement, il se lasse ou bien s'agace d'être ce " résident nomade " qui campe dans des lieux au fond indifférents, il reprend sa cuisine instable, son métier sans fin de traversier qui pratique sans répit la " mise à prix de l'immatériel. "

Cette réflexion est douloureuse en ce qu'elle nous rappelle la dure réalité du monde que beaucoup d'entre nous ont choisi de régler une bonne fois pour toute en devenant double, en travaillant et en écrivant. Regardant de ce fait, avec des yeux envieux, agacés, duplices, les très rares d'entre nous qui ne font qu'écrire, devenant " chasseurs de primes ".

Ils ont tout à la fois notre respect envieux, voire jaloux, et notre mépris. Car ils se sont éloignés délibérément du monde du péché originel dans lequel nous nous débattons en argumentant qu'ainsi nous sommes reliés au monde. Nous participons de la vie réelle et autres balivernes. Alors que cela prouve seulement que nous ne réussissons pas à vivre de notre plume, et que nous ne le désirons pas, car ce serait aussi tomber dans cette déchéance que décrit avec courage Joël Bastard : la quête incessante du contrat de résidence. Quête qui porte aussi sur la qualité des disponibilités nécessaires à l'écriture.

Il n'y a pas de bonne solution. Travailler parallèlement à l'écriture fatigue, perturbe, harasse, fait souffrir, même si cela peut aussi enrichir, dans tous les sens du terme. Ne pas travailler conduit inexorablement à courir le cachet ou à devenir apparatchik salarié de telle ou telle officine littéraire qui finira par vous bouffer le cœur et les neurones.

Au fond, les seuls à qui la littérature ― de fait ― apporte statut social, pouvoir et salaire, ce sont les organisateurs, les directeurs des officines officielles des lettres, de divers organismes poétiques et des grands festivals, qui finissent par parvenir à se nourrir de nos errances.

D'aucuns, évidemment, demeurent de véritables serviteurs de la poésie, d'autres finissent par considérer qu'ils ont des droits sur elle, qu'ils peuvent décréter, en leur haute sagacité, ce qui est et ce qui n'est pas valable. Oubliant l'infinie nécessité d'ouverture et de liberté qu'exige le fait poétique qui ne se suffit jamais à lui-même, et qui ne saurait s'instaurer.

La poésie est toujours insuffisante. C'est avec un zest de nostalgie et de remords pour les moments perdus à traquer la résidence ou la sollicitation poétique que Joël Bastard met les pieds dans la soupe. Sa façon est juste et lucide. Il continue sa conversation avec l'esprit du doute. Qu'il en soit remercié.

Paul de Brancion
D.R. Paul de Brancion
pourTerres de femmes


Joël Bastard,   Chasseur de primes par Paul de Brancion

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