Claire-Marie Le Guay

Publié le 07 février 2015 par Rolandbosquet

     Nous sommes au cœur de l’été. Les odeurs du soir glissent doucement sur la campagne. Une trentaine de privilégiés viennent de traverser la cour aux pavés inégaux d’une ancienne ferme et s’installent sur les gradins de bois d’un auditorium aménagé dans une grange désaffectée.  Le maître des lieux prononce quelques mots de bienvenue et une technicienne de prise de son prodigue quelques recommandations. Claire-Marie Le Guay a en effet choisi d’enregistrer, ici et en public, son disque consacré à Jean-Sébastien Bach. Quel meilleur environnement qu’un lieu de partage entre compositeur, auditeur et interprète pour graver ces instants si volatiles ? La musique est en effet un art de la vie qui ne prend réellement toute sa dimension qu’au milieu d’un auditoire attentif et ouvert. Et Claire-Marie Le Guay le sait bien, elle qui vient d’arpenter les salles parisiennes pour raconter la musique, ses émotions et ses silences. Comme elle l’avait fait avec son Voyage en Russie, elle développe le récit de ses excursions au cœur des compositions de Bach comme autant de voyages à travers l’Europe musicale de son temps. Elle déploie ainsi avec éclat et élégance la joyeuse arabesque de l’andante du Concerto italien ainsi que l’éloquence solaire du lumineux presto final. Le délicieux Capriccio sur le départ du frère aimé lui donne l’occasion de s’évader des contraintes de jeu habituelles pour y ajouter avec sensibilité et sincérité une belle humanité. La Sinfonia n°11 et l’Invention n°14 sont deux petits bijoux de composition qui exigent malgré tout une belle maîtrise technique et une émotion sans fard. Elles précèdent sans l’introduire la Partita n°1 qui nous emmène dans le monde codifié de la danse de cour, allemande, courante, sarabande et menuet. Nous avons quitté la liberté du monde baroque pour le divertissement organisé et presque sévère. Mais là encore Claire-Marie Le Guay se garde de peser sur la partition. Elle s’attache au contraire à demeurer légère sans se montrer pour autant complaisante. Nous la quittons après une ultime Fantaisie chromatique et fugue en mineur qui nous entraînent avec verve en quelques pas de danse dans un monde de couleurs simples et d’insouciance. De retour dans la cour alors qu’une petite brise agite les futaies où s’interpellent un couple de tourterelles, c’est un charroi de sensations qui nous reconduit en silence jusqu’au porche où passaient jadis charrettes et troupeaux. Nous les retrouvons intactes avec l’enregistrement, multipliées et presque disséquées mais toujours aussi intenses et avec le même bonheur. (Claire-Marie Le Guay, Bach, enregistré à La Ferme de Villefavard pour Mirare.)

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