DDe mémoire de Cheyenne - vie et histoire de mon peuple de John Stands In Timber

Publié le 09 février 2015 par Pestoune
 

Un véritable documentaire, que j’ai découvert grâce à un ami, sur la vie des derniers Cheyennes, sur leurs traditions, leurs grands hommes, leurs batailles… Ce livre est précieux car il nous raconte une vie disparue, étouffée, étranglée par l’homme blanc. Ce peuple fier réapprend son histoire aujourd’hui, réapprend à vivre fièrement ce qu’il est mais beaucoup de leur histoire a disparu avec la mémoire des anciens. Des documents, des témoignages de ce genre sont rares. John Stands In Timber ne voulait pas laisser perdre, mourir sa nation. Il tenait à faire un acte de transmission et s’est fait historien de son peuple. Ce livre est précieux, il contient le souvenir d’une nation. Je laisse à Jim Fergus nous partager son sentiment dans la préface qu’il a écrite lors de la réédition du livre.

Préface à l'édition Française --  L'altérité de l'Autre

C'est avec beaucoup d'humilité et un certain sentiment de repentir qu'un homme blanc tente d'écrire en toute honnêteté sur les Indiens d'Amérique du Nord.  Et, bien sûr, m'étant moi-même attelé à la tâche, je ne suis toujours pas sûr que ce soit possible. L'Histoire est presque toujours écrite par les vainqueurs plutôt que par les vaincus, et cela n'a jamais été aussi vrai que dans la version que l'homme blanc a donnée de l'"histoire" des Indiens. Car aucune culture ne peur relater avec exactitude la véritable histoire d'une autre culture sans "s'engager dans un acte hostile d'appropriation ou se contenter de donner une image d'elle-même en niant l'altérité de l'Autre», comme l'a dit un jour l'anthropologue américain Paul B. Armstrong. Sans l'ombre d'un doute, nous, "les Blancs",  avons déjà suffisamment dépossédé les Indiens d'Amérique du Nord pour ne pas leur dérober de surcroît leur histoire, leur "altérité".

Voici bientôt trente ans que j'ai découvert De mémoire Cheyenne de John Stands in Timber. J'avais déjà perçu à l’époque, comme aujourd'hui en relisant cet ouvrage, qu'il est unique dans la littérature des Indiens des Plaines. Il s'agit, tant que cela puisse exister, du "véritable" récit du peuple cheyenne, écrit par un "historien" indien, c'est-à-dire un homme qui passa sa vie à écouter et à retranscrire avec fidélité les récits de ses ancêtres. Ils ont été nombreux à me parler de cette bataille, écrit Stands In Timber à propos d'un événement particulier. Il suffisait d'être attentif pour apprendre énormément de choses.

John Stands In Timber appartenait à la dernière génération de ce peuple qui, déjà à travers ses parents et grands-parents, connut la longue et tragique transition les contraignant à passer d'un mode de vie libre et nomade à une vie de détention sur les réserves de l'homme blanc. Heureusement pour nous tous, à travers cet épreuve, Stands In Timber continua d'écouter. Ce faisant, il devint véritablement le gardien sacré de la mémoire tribale collective.

Comme pour la plupart des peuples autochtones, l'histoire des Cheyennes s'est transmise oralement de génération en génération pendant des siècles.  Le premier Cheyenne qui a rencontré des chevaux les a aperçus alors qu'ils venaient s'abreuver au bord d'un lac, nous raconte l'auteur, dans une région qui fait aujourd'hui partie du Wyoming. On dit que le premier cheval capturé par notre peuple était gris et que la robe du deuxième était fauve. A travers sa langue magnifiquement rythmée et d'une apparente simplicité, nous entendons la douce voix d'une longue succession de conteurs cheyennes sur plus d'un millénaire. Ils racontent leurs histoires dans les grottes et les tipis, entourés de gens rassemblés autour du fe, histoires que les enfants écoutent, de douces flammes éclairant leur visage, et qu'ils raconteront à leurs propres enfants. Cette histoire, je l'ai souvent entendue raconter dans ma jeunesse, écrit John Stands In Timber.

En même temps, contrairement aux récits inexacts de l'homme blanc, ce livre constitue bien plus qu'une narration linéaire du passé des Cheyennes; il constitue bien plus qu'une simple présentation des faits. Il est vrai que Stands In Timber raconte le migration et les batailles de sa tribu et fait revivre ses chefs, ses guerriers et ses hommes-médecine. Il évoque leurs amis et leurs ennemis, les trahisons, la violence et la souffrance. La vie et la mort. Mais il s'agit également d'une histoire vue à travers le prisme des rêves et des visions de son peuple, de ses mythes et de ses cérémonies, de ses chants et de ses danses, du jeûne et de la guérison, de son héros sacré Sweet Medicine et de son Pouvoir.

Ce livre est un véritable monument de la littérature consacrée aux Indiens d'Amérique du Nord. Il nous offre la vision rare d'un monde que nous, les conquérants, commençons à peine à comprendre. Nous ne pourrions pas approcher de plus près l'altérité de l'Autre.

Le plus remarquable, peut-être, est qu'il n'y a aucune trace d'amertume dans la voix de John Stands In Timber malgré tout ce que lui et les siens ont enduré.

   Jim FERGUS  Janvier 2006

   Auteur de  Milles femmes blanches

et  La fille sauvage.

Margot Liberty anthropologue était l’assistante et l’amie de John Stands In Timber, elle lui rend ce petit hommage.

John Stands In Timber est décédé le 17 juin 1967, alors que son livre - de tous les accomplissements d'une longue existence, celui qu'il chérissait le plus - était sous presse.  Ceux d'entre nous qui ont travaillé avec lui pendant plus d'une décennie afin que cet ouvrage voie le jour ont été terriblement tristes d'apprendre qu'il ne pourrait pas le feuilleter.

Homme des plus simples, et des plus grands, il repose désormais parmi les simples et les plus grands de sa tribu. Il aurait certainement apprécié que nous nous souvenions de lui en nous remémorant les paroles d'un de ses chants guerrier favoris : "Mes amis, seules les pierres restent sur la terre éternellement. Faites de votre mieux".  

Margot Liberty.

Dans le prologue du livre, Fred Last Bull, le gardien des flèches sacrées nous raconte comment Sweet Medicine, grand sage, prophète, avait annoncé la débâcle de la nation Cheyenne, comment l’homme blanc allait l’étouffer, l’assimiler.

Prologue.

Ils seront puissants, forts et robustes. Ils voleront dans les airs et dans le ciel, ils creuseront la terre, ils l'assècheront et finiront par la tuer; Partout, ils feront mourir les arbres et l'herbe ; ils planteront leurs arbres et sèmeront leur herbe, mais la terre sera morte - de même que les arbres, l'herbe et les animaux d'antan. Ils approchent chaque jour un peu plus de cette issue fatale. Là-bas, à New York et dans les autres villes, la terre est déjà morte. Ici, nous avons de la chance. C'est agréable. C'est beau. L'air est pur. L'herbe de la Prairie pousse encore. Mais il en arrive tout le temps ; ils retournent la terre et la tuent. Ils sont de plus en plus nombreux et font de plus en plus d'enfants. C'est ce qu'Il disait.

Il disait que les hommes blancs deviendraient si puissants, si forts, qu'ils pourraient capturer le tonnerre, cette électricité tombée du ciel, pour éclairer leur maisons. Peut-être même seraient-ils capables d'atteindre la lune et de s'en emparer, ou même les étoiles, du moins une ou deux. Mais peut-être ne peuvent-ils pas encore faire ça...

Notre nourriture traditionnelle est bonne. La viande de bison, le gibier étaient bons. Ils nous rendaient forts. Ces vaches sont délicieuses à manger, moelleuses et tendres, mais elles ne valent pas la viande d'autrefois. Nos ancêtres vivaient vieux. Aujourd'hui, nous mangeons la nourriture de l'homme blanc et nous ne vivons plus aussi vieux  -soixante-dix ans, peut-être quatre-vingts, mais pas cent ans. Sweet Medicine nous a enseigné tout ça. Il disait que l'homme blanc était trop fort. Il disait que sa nourriture serait délicieuse, qu'après y avoir goûté nous en redemanderions et oublierions nos propres nourritures. Avant, nous mangions des merises et des prunelles, des navets sauvages et le miel des abeilles. Cette nouvelle nourriture est trop délicieuse. Nous y avons goûté et nous avons oublié... tout ce qu'Il disait est en train de se réaliser.

   Fred Last Bull

   Gardien des Flèches sacrées.

Septembre 1957  

Litterature