L'auteur de la 'Lorely', triste prince au soleil noir, voyageur infatigable, est le poète de la mélancolie et du rêve. Mêlant, dans une même brume magique, chimères et réalité, souvenirs passés et sensations présentes, Nerval s'aventure sur la lisière étrange de l'invisible vague, du flottant merveilleux. Il puise du Valois où il a passé son enfance au milieu de parcs, d'étangs et de jeunes filles évanescentes, ces mystères qui le hantent. Sylvie, Emerance, Sydonie, Héloïse, Célénie, Fanchette, Adrienne deviendront ses 'Filles du feu', dont les jeux de rondes et les chants anciens incarnent les symboles d'une vie arrêtée, d'une terre onirique. Paysages transfigurés, songes éveillés, mémoire intemporelle, le destin du poète se confond avec celui de l'humanité : il sent son âme vieille de deux cents ans.
Féerie pour un autrefois
Fils d'un médecin de la Grande Armée, Nerval, à peine né, est orphelin de mère. Marie-Antoinette Boucher avait en effet décidé de suivre son mari sur les périlleuses campagnes d'Allemagne et de Russie, laissant le bébé en Ile-de-France. Ce fantôme maternel disparu en Bohême, dont l'écrivain ne possède ni photo ni portrait, sera relayé dans son oeuvre par la figure de l'insaisissable Jenny Colon dont Nerval tombe amoureux. Tour à tour créature céleste, déesse orientale, Isis, Cybèle ou la Vierge Marie, l'éternelle silhouette féminine se dérobe toujours dans de vaporeuses légendes : "Je suis la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. A chacune de tes épreuves, j'ai quitté l'un des masques dont je voile mes traits, et bientôt tu me verras telle que je suis."(1) Ainsi parle la déesse d''Aurélia', qui est une, et plusieurs à la fois.
Pourtant, Nerval n'est pas seulement nostalgique. Avec son ami de collège Théophile Gautier il fait les quatre cents coups, se passionne pour les batailles romantiques, se montrant souvent fantaisiste, voire excentrique, comme lorsqu'il promène un homard en laisse ! Mais les crises de folie dont l'écrivain est victime dès ses jeunes années l'affaiblissent, et le contraignent à l'hospitalisation. Il note alors en marge de ses portraits photographiques : "Je suis l'autre", et décline à l'envi ses différentes personnalités, souvent mythologiques. "Suis-je Amour ou Phoebus… Lusignan ou Biron ?"(2) La peur d'un être multiple rejoint alors celle d'un être identique. A force de questionner son identité et celles des autres, il craint de voir deux femmes (Adrienne et Aurélie) quand il n'y en aurait en réalité qu'une seule : "Aimer une religieuse sous la forme d'une actrice ! et si c'était la même ! il y a de quoi devenir fou !"(3)
Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé
"Ne m'attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche."(4) Cette phrase fulgurante est la dernière écrite par Nerval, la veille de son suicide. Mois de janvier 1855. Paris est sous la neige, la Seine charrie des glaçons. L'écrivain est sorti depuis quelques semaines de la clinique du docteur Blanche qu'il avait intégrée à la suite d'un nouvel accès de démence. Il travaille encore son texte 'Aurélia'. Cette nuit du 25, Nerval erre de bouges en cabarets, près des Halles. Il fait -18º. Il s'enfonce progressivement dans le quartier de la Grande Boucherie, sombres ruelles aux couloirs étroits et aux escaliers encaissés. Dans les caniveaux de la rue de la Tuerie, le sang de l'écorcherie se déverse. A l'aube, on retrouve un cadavre rue de la Vielle Lanterne. C'est Gérard de Nerval pendu à une grille. Son médecin établit un certificat pour qu'il ait droit à un enterrement religieux, normalement refusé aux suicidés.
Ecrivain de l'enchantement, Nerval s'est perdu progressivement dans les méandres de sa propre rêverie. S'il voit des fées, il entend aussi leurs cris.(5) Prisonnier de visions hallucinatoires qui se surimpressionnent sur le réel, Nerval est obsédé par un passé auquel il se croit lié. Amours anciennes, châteaux perdus dans de vastes jardins, vitraux teints de rouge : les images d'autrefois resurgissent et s'emparent de lui. "En un instant je me transformai en marié de l'autre siècle" lit-on dans 'Sylvie'. Mais si mariage il y a, la promise appartient à une existence révolue, époque lointaine où il l'a vue, et dont il se souvient. Ces fantasmes de métamorphoses plongent Nerval dans la déraison. Il se démultiplie sans fin, croit se voir partout, ne se retrouve plus. Il étouffe sous trop de masques : "Comme si les murs de la salle se fussent ouverts sur des perspectives infinies, il me semblait voir une chaîne non interrompue d'hommes et de femmes en qui j'étais et qui étaient moi-même."(6) En ces circonstances, seul le déguisement permet de s'évader de soi et de devenir autre. Les 'Filles du feu' aiment ainsi se vêtir d'habits anciens, et remonter le temps. Sous les yeux du narrateur ébloui, elles redonnent vie avec toute la fraîcheur de leur jeunesse à des ombres spectrales. De même pour Jenny Colon, qui, en tant que comédienne, change souvent d'apparence et éveille la passion chez Nerval. Avec ces travestissements, les esprits éteints apparaissent alors, réconciliant l'espace du souvenir et ses mirages, les vivants et les morts. Mais les héros des nouvelles nervaliennes s'aperçoivent, au bout du compte, que ce charme fugitif tombe vite en poussière.
Page 1/2 [1] 2 Lire la suite» Je n'ai pas pu mettre de note ce jour là mais j'ai pensé à lui; ses oeuvres sont encore à Casablanca. Ne croyez -vous que bicentenaire est une bonne occasion de lire mon mémoire présenté ci-dessus? eN PLUS LES FRAIS DE PORT SONT GRATUITS JUSQU'AU 31 MAI