Un soir, cinq jours après le terme, à minuit tout pile, je secouai mon Indien préféré qui dormait : les contractions semblaient avoir commencé ! Deux heures plus tard, il faisait déguster ses jus faits maison à la sage-femme dans l’antre de notre chambre pendant que je me tordais de douleur…
A 2h45, au son d’une fanfare disco dans la rue (on cherchera pas à comprendre, c’est Mumbai), nous partîmes enfin pour l’hôpital où nous fûmes reçus par une infirmière perspicace « vous êtes enceinte ? Et vous venez pour quoi ?? ».
A 3h00, une employée de l’hôpital m’enchaînait à une chaise roulante – je pensai bien protester, pour la forme, et pour l’absurdité de la chose, et parce que j’en avais le droit (après tout j’étais enceinte et sur le point d’accoucher, on m’aurait bien passé un petit caprice), et y aller à pied, ou en tout cas pas sanglée. L’Inde, terre de contrastes et contradictions, est un pays où tout se vérifie, et son contraire aussi… Ainsi, si la plupart des Indiens vivent dans le plus grand mépris des règles (de conduite, de file d’attente etc.), certains dont la profession se résume à quelques tâches simples et répétitives préfèreraient se faire couper un bras que de déroger à leurs instructions. Je renonçai donc à discuter et partie dans les étages dûment harnachée sur ma chaise.
A 3h05, nous étions dans la chambre.
A 3h07, j’avais enlevé la pile de l’horloge dont le tic-tac m’irritait.
A 3h10, j’observais, médusée, l’interne de service mesurer la durée de mes contractions les yeux rivés à l’horloge. Il lui fallut bien une minute pour réaliser que l’aiguille ne bougeait pas ! On lui donnera l’excuse de l’heure indue…
A 3h18, ma copine de la chaise roulante m’enlevait mon beau vernis rose-orangé. C’était bien la peine de se faire belle ! Là encore j’envisageai de protester. Mais je me rappelai le commentaire tout récent de ma mère à propos de sa propre opération : vernis interdit car le personnel médical peut ‘voir’ la pression sanguine à la couleur des ongles.
Je passais les deux heures suivantes sur la balle d’exercice que ma sage-femme avait réussi à faire passer en douce, à me tordre de douleur au gré des contractions. Je gérais à peu près jusqu’à l’arrivée de la gynéco. D’humeur quand même joyeuse, je voulus lui raconter la blague que le radiologue m’avait sortie le matin même : « si vous arrivez à accoucher naturellement de ce gros bébé (1) je viendrai vous serrer la main à l’hôpital ». Sauf que je ratai complètement mon effet : une contraction me secoua violemment en plein milieu de ma phrase et je dus la finir dans les larmes. Je compris que la gynéco crut que j’avais pris le radiologue au sérieux quand elle me lança en partant « allez, on va montrer à ce type comme il se trompe ! ». D’ailleurs j’appris plus tard que ce petit plaisantin de radiologue était un récidiviste : il avait choqué ma copine avec cette même vanne et, avec son sens de l’humour yougoslave, elle n’avait plus remis les pieds au laboratoire !
(1) Estimé à 3,6 kilos le bébé était dans la moyenne française – ce que j’ignorais – mais 900 grammes au-dessus de la moyenne indienne (3,5 vs 2,7 kgs, source : http://www.doctissimo.fr/html/sante/bebe/sa_308_normal.htm; http://www.babycenter.in/a1015212/your-low-birth-weight-baby#ixzz3PZguMc2A)
(A suivre…)