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Pas de pot pour le pot

Publié le 13 mars 2015 par Corboland78

Dans cet immeuble tranquille, ils sont plusieurs couples de retraités à se croiser dans les escaliers et entretenir de bons rapports. Avec l’âge, le bruit des voisins ne gêne guère car on ne l’entend plus ; avec l’âge on fait moins de bruit puisqu’on marche à petits pas et qu’on n’a plus la force de faire de gros travaux de bricolage ; avec l’âge on risque moins de s’engueuler avec les autres copropriétaires car on n’a plus assez de souffle. Avec l’âge, on ne peut que bougonner, seul avec nous même, unique proche assez proche pour nous entendre et comprendre nos récriminations.

Appelons-les Durand et Dupont pour ne froisser personne. Les Durand et les Dupont se croisent au rez-de-chaussée, devant les boîtes aux lettres fixées au mur du hall. On se salue aimablement, on s’interroge sur le passage du facteur, « normalement à cette heure » « non, je crois qu’il a modifié le sens de sa tournée » « ah ! vous m’en direz tant », puis on embraye sur la météo et comme on ne sait plus quoi se dire, madame Durand propose « Et si vous veniez déjeuner à la maison un de ces jours prochains ? »

Dans ces situations c’est toujours madame Dupont qui répond. « C’est très gentil, mais vous savez j’ai un régime très strict, ce serait trop compliqué. Eventuellement on peut boire un apéritif si vous voulez ? » Madame Durand gênée réplique « Hélas, mon pauvre mari ne boit plus d’alcool depuis son opération du cœur… », regard contrit autant que déçu de l’intéressé. On se regarde, tous hésitant. Un ange passe.

Madame Dupont relance, « Un petit goûter alors ? » Madame Durand « Je ne dois pas manger de gâteaux ni de sucreries… » Grimace de l’époux qui y voyait enfin l’occasion de s’en mettre une belle part dans le gosier, depuis le temps qu’il en est privé. Madame Dupont pas découragée pour autant « Et un thé ? », cri du cœur de madame Durand « J’ai horreur de ça !! Beurk ! Beurk ! Beurk ! »

Les dames se regardent interrogatives, les messieurs louchent vers leurs pieds très intéressés par leurs propres godasses qui leur fournissent un alibi pour ne pas la ramener dans cette discussion qui s’annonce sans issue positive. Un bruit de porte qui se referme à l’étage, un pas qui descend l’escalier, comme la sonnerie annonçant la fin des cours, un signal bienvenu pour abréger la conversation.

Madame Dupont « Oh, là, là, il est déjà cette heure-ci et nous sommes là à discuter ! », madame Durand « Oui vous avez raison, nous devons allez faire les courses ! » et se retournant vers son mari « Tu ne pouvais pas me le dire qu’il était si tard, au lieu de rester-là les bras ballant ? ». Les dames s’ébrouent comme prises d’une frénésie d’action, leurs maris échangent des coups d’œil silencieux mais compréhensifs avant de prendre le sillage de leurs épouses qui filent déjà.

Madame Dupont se retournant « On en rediscute très vite ? », « Mais j’y compte bien… » répond l’autre dame. « C’est pas demain la veille qu’on va boire un bon coup » pense monsieur Durand. Monsieur Dupont ne dit rien mais soyez certain qu’il n’en pense pas moins !


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