Vous l’avez compris, l’heure est grave. La France, où jusqu’ici l’on menait une petite vie pépère et sans problème notable, est la proie de méchants personnages qui tuent des gens à tout va sans qu’on ait, au fond, très bien compris pourquoi. On grillage les écoles, on barricade les centres aérés, pour être sûrs qu’ils ne mettent pas leur pataquès dans les affaires de nos enfants. Cette situation est oppressante et nous aimerions que les méchants personnages retournent faire la queue à Pôle Emploi, comme tout le monde.Comment les y contraindre ? Le méchant, fourbe qu’il est, se dissimule parmi d’honnêtes citoyens. Il faut le débusquer, et comme il n’est pas assez neuneu pour mettre un sticker I ♥ djihad sur son sac, ou pour poster des vidéos de lui s’entraînant au tir sur cible en burqa (ah si ? euh, pardon), il faut le pousser à se dévoiler.Heureusement, il y a Internet.
Crédit photo: niqab.coIl est probable qu’entre deux sessions de shoot dans le désert, le méchant échangera des emails avec sa mamie et donnera aux services de renseignement des informations précises sur la localisation d’autres méchants. Peut-être même qu’il se géolocalisera sur Facebook – le bête ! – en plein Yémen, alors qu’il a juré ses grands dieux qu’il partait préparer son BAFA dans les Cévennes.Problème tout de même : les services de renseignement ne sont pas censés fouiller dans nos emails ni nos publications sur les réseaux sociaux.Parce que tout ça, c’est notre vie privée.Mais qu’est-ce donc, en fait, que la vie privée ?
[Musique d’ambiance]La vie privée est une notion inventée au XIXème siècle. Elle recouvre les moments que nous passons dans l’intimité, avec nos proches ou nos animaux familiers, et où nous dévoilons notre dimension la plus profonde. Car, pris tout le jour dans le jeu cruel des interactions sociales, nous sommes contraints de porter un masque, le masque des convenances et des usages. Le soir à la maison, par contre, nous sommes libres de nous comporter comme il nous paraît bon, de grimacer, de lâcher des pets et d’écouter Mylène Farmer en mangeant de la pizza sur un canapé sale.La vie privée, ce sont ces moments si bons où nous sommes nous.
Curieusement, les élucubrations des parlementaires de droite qui se proposaient de farfouiller dans la correspondance privée des citoyens ont surtout éveillé le spectre de l’atteinte à la vie privée. Je m’interroge tout de même : est-ce là la question centrale ?Appréhender un individu sur de faux motifs, ou le pousser à la faute, voilà qui n’est pas bien. Même le plus méchant des djihadistes peut faire des plaisanteries au téléphone ! Il ne serait pas bon qu’on l’arrête sur un motif aussi léger.De plus, nous sommes bien d’accord, espionner la vie d’un djihadiste, c’est se donner la tentation bien normale d’espionner la vie de gens qui ne sont pas, mais alors pas du tout des djihadistes. En gros, ça pourrait ressembler à que nous raconte Soljenitsyne sur la vie en Russie soviétique, ou sur la société protestante d’Amsterdam au XVIIème siècle : un endroit affreux où tout le monde espionne tout le monde. Et dans quel but ?Je vous le demande : que se passe-t-il dans nos vies privées ?
Il y en a un qui ne se pose pas la question et qui ne veut pas en entendre parler, c’est M. Jean. M. Jean (Jean de son prénom, mais il ne veut pas que ça se sache, parce que Jean Jean c’est quand même assez foireux comme association onomastique) veille scrupuleusement sur sa vie privée depuis que les Américains ont lancé cette hydre de Fessebouc. Il le sait bien, de quoi il retourne : des firmes multinationales veulent espionner nos vies et en tirer les informations essentielles pour nous vendre ensuite toutes sortes de camelotes – voyages aux Baléares, chaussons, parapluies, machines pour agrandir le membre viril.Et ce n’est pas tout. De toute évidence, les Américains réalisent aussi, dans le plus grand secret, des cartes indiquant les points faibles de chaque pays (la passion pour le roquefort par exemple, dévoilée sans méfiance sur Instagram), et ils s’en serviront pour mettre en application leur projet de conquête du monde.
Conclusion : protégez votre vie privée autant que vous voudrez, de toute façon Dieu voit tout.