![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-329Woq.jpeg)
C’est le leitmotiv de la presse de gauche ces jours-ci : les collégiens/lycéens/ados/jeunes (choisissez la mention qui vous convient) « ne sont pas Charlie ». Entre les partages Facebook et ma propre fréquentation du bouquet de presse sus-désigné, j’ai dû voir passer la mention treize fois.Evidemment qu’ils ne sont pas Charlie, les petits mignons : comment diable pourraient-ils l’être ?Voyons donc comment moi-même, prof de gauche de tendance lourdement républicaine, je gère les débats avec des lycées du fin fond de la Seine-et-Ma…pardon de l’oblast d’Arkhangelsk.
Pour commencer, mettons les choses au clair : dans leur grande majorité, les adolescents ne sont rien, et surtout pas ce que les adultes relous qui les entourent veulent qui leur soient. Jusqu’à dix-sept ans, leur identité personnelle est à peu près aussi définie qu’une aquarelle de Turner – à cette différence que le flou façon Turner inspire une douce mélancolie tandis que l’adolescent génère un sentiment vaguement nauséeux. Il ne risque donc pas d’ « être Charlie », vu qu’il ne sait pas ce qu’il est. « En plus c’est débile, je peux pas m’appeler Charlie, chuis une fille ! »
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-JPj_Pw.jpeg)
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-HUHu4P.jpeg)
Hop hop, aussitôt dit aussitôt fait. Je récupère un groupe de dix-huit petiots – quinze ans, un mètre soixante-quatre au garrot – et expose les étapes du projet.« Bon, comme tout le monde, vous avez très mal à la tête après tout ce qui s’est passé la semaine dernière et les commentaires des types sur BFMTV, donc on va faire une pause et essayer d’y comprendre quelque chose. Comme je vous connais et que ça va partir dans tous les sens, on va canaliser les énergies. Déjà, Steven, Lucie, Christopher et Oussama, vous ne prenez la parole qu’après avoir levé la main. Si vous faites mine d’interrompre qui ce soit ou que vous répondez à quelqu’un sans avoir écouté ce qu’il dit, vous filez au fond de la salle faire des exercices sur la méthode de la dissertation. Les autres, le principe est simple : on va faire un débat CONSTRUCTIF. Si c’est pour que chacun se mette à hurler et traite les autres d’imbéciles, ça n’a aucun intérêt. Et la première nécessité, c’est qu’on parle tous de la même chose. Donc vous allez prendre une feuille et écrire les problèmes fondamentaux que ces événements ont mis en lumière. »Evidemment c’est un peu ardu comme entrée en matière. Mais j’évite ainsi les sempiternels « Tout ça c’est un attentat financé par les Israéliens » et « Vous avez bien vu que les rétroviseurs de la Clio sont blancs sur une vidéo et noirs sur une autre ! » Pour ce genre de réflexions, je réserve une séance « Sensibilisation à l’usage pertinent et mature des nouveaux médias ». L’ado étant jeune, il n’a pas subi la première vague de délires complotistes du 11 septembre, suivi de toutes sortes de vagues alimentées probablement par les douze mêmes types. Il n’a donc pas compris que ces pseudo-analyses prétendument novatrices reprenaient les mêmes poncifs éculés d’attentat en attentat. Il est jeune, mais il va grandir.Au bout de trois minutes, une fille article péniblement : « Les attentats ? »- « Quoi, les attentats ? »- « Le problème, c’est les attentats ? »- « Hein ? ah… Bon, oui, merci, c’est vrai que c’est un problème, mais est-ce que quelqu’un saurait dire quels sont les enjeux fondamentaux que la presse a traités ces derniers jours (c’est peut-être plus clair comme ça, à la réflexion).Trois élèves se lèvent en rugissant : « La liberté d’expression ! »- « Oui, d’accord. Mais bon, soyons sérieux : qui d’entre vous a la moindre idée de ce qu’est la liberté d’expression ? »Les rugissants interrompent leur mouvement, et se regardent éberlués. « Ben, euh… »
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-1NhSWI.jpeg)
- « Ok, personne. Léa, tu peux écrire au tableau : liberté d’expression ? Bon, vous avez trouvé autre chose ? »Une petite blonde laisse enfin déborder son trop-plein de rancune : « La religion ! »- « Mouais, si vous le formulez comme ça, on a l’impression que c’est la religion elle-même qui est un problème, et on ne va pas entrer dans ce débat. Léa, écrivez plutôt : Rapport entre religion et politique. Autre chose ? »Ils se regardent.« Rien ? »- « Ben, non, c’est tout. »- « Trois fous ont tué dix-sept personnes, et pour vous les seuls problèmes c’est la liberté d’expression et la religion ? »Ils ne comprennent pas davantage.« Le terrorisme, ce n’est pas un problème ?- « Oh, ben non, c’est pas sympa ! »Mourad s’empresse d’ajouter, en mode pas d’amalgame : « Ce ne sont pas de vrais musulmans ! »« Savoir si ce sont de vrais musulmans ou non, c’est justement le genre de débat absurde dans lequel on ne va pas s’aventurer. C’est Dieu qui décidera, nous, on va parler des trucs qu’on peut juger. »Je contemple le tableau.« Il y a trois thèmes dont chacun pourrait nous occuper pendant six heures. Le rapport religieux-politique, on laisse de côté, c’est trop vaste, on ne va pas s’en sortir. La question du terrorisme, c’est plus simple, mais pour en parler de façon intéressante il faudrait qu’on s’appuie sur des éléments concrets, donc on verra ça la semaine prochaine, je vous apporterai un joli dossier pour alimenter votre réflexion. »- « Pourquoi vous dites que ce sont des terroristes ? »- « En voilà une question qu’elle est bonne. Et pourquoi ne le dirais-je pas ? »- « Rien ne prouve qu’ils sont liés à Al Qaida. »- « Je suis bien d’accord, rien ne le prouve. Nous allons donc nous mettre d’accord sur une définition minimale du terme terroriste. Un attentat, qu’est-ce que c’est ? »- « C’est tuer plein de gens. »- « Et si les frères Kouachi avaient tué plein de gens parce qu’ils avaient bu un coup de trop ou qu’ils étaient de mauvaise humeur, ce serait un attentat ? »- « Euh… »- « Ce serait un assassinat. Pour qu’on parle d’attentat, il faut qu’il y ait une revendication – politique, identitaire, morale ou autre – derrière. Partons donc du principe qu’un terroriste est une personne qui commet ou subventionne un attentat. Qu’il soit lié à une organisation, c’est une pure question de logistique. »- « Mais ils se battaient pour défendre l’islam ! »- « C’est bien ce que je viens de dire, ils avaient une revendication identitaire. Soit dit en passant, Daech aussi se bat pour défendre l’islam, et ça fait moyennement rêver. »- « Pourquoi vous dites ça ? C’est peut-être bien ce qu’ils font !"
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-mmMEDW.jpeg)
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-JenjBY.png)
![Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves » Moi aussi, j’ « ancre les valeurs républicaines dans la tête de mes élèves »](http://media.paperblog.fr/i/753/7533475/j-ancre-valeurs-republicaines-tete-eleves-L-3UdGbF.jpeg)
Précision utile : tous les échanges cités dans ce texte sont véridiques, ce ne sont pas des ajouts rhétoriques. Par contre il s’agit d’une compilation de trois débats menés avec trois groupes différents.