Une guimbarde rafistolée surgit soudainement dans notre champ de vision. Papila est sur le siège avant ; à côté, un gros.Il descend et fait le jovial :« Il faudra se contenter de celle-là ! Rien à voir avec celle du beau-frère ! »Puis, soudainement confidentiel :« Ici, je ne peux pas conduire. On m’a retiré mon permis. »Décidément, il a l’air d’en avoir lourd sur la conscience en matière de dépassement en côte. Mais qu’importe. Je me case à l’arrière, couchée en long sur mes trois camarades. Ce serait presque confortable, si notre chauffeur ne filait pas à 140 à l’heure. Il doit chercher à compenser l’aspect décati de sa machine, on le comprend, la dignité masculine est une chose avec laquelle on ne plaisante pas ; mais j’ai constamment en tête les spots hideux de la sécurité routière sur les enfants de huit ans qui finissent explosés dans le pare-brise parce qu’ils ont couru après le chat dans la voiture et qu’ils ont fait peur à Papa.Pendant ce temps, Papila narre.« Terrible, la situation des Lazes. Un drame historique inouï. »Si on le suit bien, les Lazes, qui vivent sur tout le pourtour de la mer Noire et sont donc aussi présents en Géorgie, ont été divisés par le Rideau de Fer. Impossible de voir Mamie qui était restée de l’autre côté ! Les familles se sont donc désunies, pas moyen de communiquer, les douanes, autre chose qu’aujourd’hui, bref, d’un triste, sans parler de toutes ces maisons qu’on a laissées filer entre les mains des Soviétiques parce qu’il n’y avait pas moyen de les récupérer.« Celle-ci, par exemple, c’était la maison de mon oncle. Maintenant c’est un inconnu qui l’habite. » [Moue dégoûtée de Papila]Il me semble qu’avec les soixante-dix chambres inoccupées de son hôtel il pourrait moins faire le dédaigneux et se soucier, une bonne fois pour toute, d’y faire le ménage. Facile d’occuper une grande surface quand on ne l’époussette pas ! Nous entrons dans les faubourgs de Batoumi, le conducteur – sans décélérer – nous fait le tour des curiosités : piscine, casino, hôtel de charme et, bien sûr, la plage.« Batoumi, c’est la belle vie ! »J’imagine bien qu’en 1950, on était prêt à vendre sa mère (même laze) pour passer une semaine au bord de l’eau. Depuis, on a eu la Grande-Motte et ça remet tout en perspective. Il y a tout de même de quoi se rincer l’œil, et très franchement, c’est autre chose que Hopa. La jeunesse dorée géorgienne déambule en bikini entre les stands de paréos et de tableaux en crustacés. Rien que de très courant, m’opposera-t-on – mais nous sortons de trois semaines de mer Noire turque, et la région de Trabzon ne fourmille pas de femmes à poil. A Ispir, bourgade caillouteuse coincée au milieu des monts Kaçkar, la dernière mode serait plutôt à la combi intégrale. Mine de rien, un post-ado en slip de bain, ça rafraîchit.Et qu’est-ce qu’ils se mettent, les estivants de la mer Noire ! Sur la place centrale de la ville, une fontaine musicale nous déverse Queen dans les oreilles. On peut donc, en traversant inopinément l’esplanade pendant un pianissimo, avoir la surprise de se faire inonder au changement de morceau. Et comme ça n’était pas assez kitsch, un entrepreneur local a couvert les bâtiments environnants de néons roses. Tout le monde est ravi.
La vie de voyage #5: Allons voir danser les belles Circassiennes
Publié le 19 novembre 2014 par Marguerite Petrovna @chatmargueriteUne guimbarde rafistolée surgit soudainement dans notre champ de vision. Papila est sur le siège avant ; à côté, un gros.Il descend et fait le jovial :« Il faudra se contenter de celle-là ! Rien à voir avec celle du beau-frère ! »Puis, soudainement confidentiel :« Ici, je ne peux pas conduire. On m’a retiré mon permis. »Décidément, il a l’air d’en avoir lourd sur la conscience en matière de dépassement en côte. Mais qu’importe. Je me case à l’arrière, couchée en long sur mes trois camarades. Ce serait presque confortable, si notre chauffeur ne filait pas à 140 à l’heure. Il doit chercher à compenser l’aspect décati de sa machine, on le comprend, la dignité masculine est une chose avec laquelle on ne plaisante pas ; mais j’ai constamment en tête les spots hideux de la sécurité routière sur les enfants de huit ans qui finissent explosés dans le pare-brise parce qu’ils ont couru après le chat dans la voiture et qu’ils ont fait peur à Papa.Pendant ce temps, Papila narre.« Terrible, la situation des Lazes. Un drame historique inouï. »Si on le suit bien, les Lazes, qui vivent sur tout le pourtour de la mer Noire et sont donc aussi présents en Géorgie, ont été divisés par le Rideau de Fer. Impossible de voir Mamie qui était restée de l’autre côté ! Les familles se sont donc désunies, pas moyen de communiquer, les douanes, autre chose qu’aujourd’hui, bref, d’un triste, sans parler de toutes ces maisons qu’on a laissées filer entre les mains des Soviétiques parce qu’il n’y avait pas moyen de les récupérer.« Celle-ci, par exemple, c’était la maison de mon oncle. Maintenant c’est un inconnu qui l’habite. » [Moue dégoûtée de Papila]Il me semble qu’avec les soixante-dix chambres inoccupées de son hôtel il pourrait moins faire le dédaigneux et se soucier, une bonne fois pour toute, d’y faire le ménage. Facile d’occuper une grande surface quand on ne l’époussette pas ! Nous entrons dans les faubourgs de Batoumi, le conducteur – sans décélérer – nous fait le tour des curiosités : piscine, casino, hôtel de charme et, bien sûr, la plage.« Batoumi, c’est la belle vie ! »J’imagine bien qu’en 1950, on était prêt à vendre sa mère (même laze) pour passer une semaine au bord de l’eau. Depuis, on a eu la Grande-Motte et ça remet tout en perspective. Il y a tout de même de quoi se rincer l’œil, et très franchement, c’est autre chose que Hopa. La jeunesse dorée géorgienne déambule en bikini entre les stands de paréos et de tableaux en crustacés. Rien que de très courant, m’opposera-t-on – mais nous sortons de trois semaines de mer Noire turque, et la région de Trabzon ne fourmille pas de femmes à poil. A Ispir, bourgade caillouteuse coincée au milieu des monts Kaçkar, la dernière mode serait plutôt à la combi intégrale. Mine de rien, un post-ado en slip de bain, ça rafraîchit.Et qu’est-ce qu’ils se mettent, les estivants de la mer Noire ! Sur la place centrale de la ville, une fontaine musicale nous déverse Queen dans les oreilles. On peut donc, en traversant inopinément l’esplanade pendant un pianissimo, avoir la surprise de se faire inonder au changement de morceau. Et comme ça n’était pas assez kitsch, un entrepreneur local a couvert les bâtiments environnants de néons roses. Tout le monde est ravi.