À La Désirade, ce mardi 17 mars. – Au réveil (5 heures du matin) je me dis que je devrais renoncer à ce qui, dans mon roman, reste trop littéraire, trop précieux ou trop recherché. Pierre Gripari, dès mon premier livre, m’avait reproché certaine obscurité, et je crois qu’il avait raison même si, dans sa postface, Dimitri relevait que cette obscurité était le « sceau du poète ».
De son côté, Nancy Huston, qui avait beaucoup aimé L’Ambassade du papillon, trouvait Le viol de l’ange par trop écrit, concluant au fameux words, words, words qui m’a chiffonné sur le moment, mais elle aussi avait raison. Donc je vais relire les cinquante premières pages de La vie des gens et tâcher de chausser des lunettes à la Léautaud ou à la Marcel Aymé, bons conseillers en la matière.
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La série historico-politique documentaire consacrée par Oliver Stone à L’histoire jamais racontée des Etats-Unis est d’une virulence critique à vrai dire sidérante, pourtant étayée par des documents irréfutables et structurée avec plus de sérieux , me semble-t-il que les brûlots d’un Michael Moore. Qui aime l’Amérique ne peut qu’apprécier cette descente en flammes de l’américanisme primaire.
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En une journée, j’aurai un peu avancé sur la révision de mon roman, vu un épisode (JFK : au bord du gouffre) de la grande série documentaire d’Oliver Stone consacrée à L’histoire jamais racontée des States, composé une liste, revu Pas de printemps pour Marnie d’Hitchcock que Truffaut taxait de « grand film malade », lu trente pages (tout à fait excellentes) du nouveau roman de Mélanie Chappuis intitulé L’empreinte amoureuse, et repris mon portrait de Lady L. que je vais beaucoup avancer ces prochains temps non sans reprendre ma série de 100 Cervins – tout cela sans cesser de trier et de classer les quelque 1000 livres qui s’empilaient pêle-mêle dans un placard de mon antre…
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Il s’agit à présent d’envisager le roman sous l’aspect de l’exercice. Ecrire le roman signifiera donc s’exercer à penser en situation et à trouver la forme adéquate de chaque sentiment et de chaque idée portés par les personnages, chacun à sa façon.
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Toujours très impressionné par la série documentaire d’Oliver Stone, dont j’ai regardé tout à l’heure la suite avec les épisodes de la guerre au Vietnam, du règne désastreux de Nixon et de la suite non moins lamentable des présidences de Reagan et de la triste paire des Bush père et fils.
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Tout de suite, en effet, j’ai été touché par la justesse du ton et la finesse des observations portées sur sa vie par le narrateur, qui vient d’apprendre que son foie est atteint par le cancer et qu’une opération s’impose, à quoi il se refuse absolument dans un premier temps, au dam de sa compagne Marion et de ses amis, refusant de se voir « traité » et voué à une déchéance juste ralentie avant sa fin annoncée de toute façon. Plutôt que de confier son sort aux médecins, il entreprend alors de rédiger une espèce de journal rétrospectif de ses amours, dès son enfance au Nigeria (son père diplomate étant en poste à Lagos), au fil duquel défilent les figures très variées des femmes qui l’auront peu à peu révélé à lui-même et dont il se demande ce que, de son côté, il leur a laissé – quelle empreinte amoureuse leur est restée de lui.
Le thème de l’ « homme pris au piège », selon l’expression de Chestov parlant de La Mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, chef-d’oeuvre du genre, repris par Kurosawa dans le génial Ikiru (Vivre), a nourri toute une littérature, et notamment « autour » du cancer, notamment avec le fameux Mars de Fritz Zorn, puis du sida avec Hervé Guibert, mais il est moins question, dans L’Empreinte amoureuse, de la menace possiblement mortelle qui plane sur Bruno, que de ce qu’aura été sa vie jusque-là, en attendant d’envisager ce qu’elle pourrait être encore, par-delà ce qu’on pourrait dire une conversion intérieure « du côté de la vie ».
La grande réussite de ce livre tient à sa limpidité et à sa parfaite honnêteté, à son incarnation très saine et très ondoyante à la fois, sensible et sensuelle, de ce Bruno souvent flottant, suivant ses parents d’un pays à l’autre (d’Argentine à Berne via New York) avant de vivre très librement au fil de ses études, de Berlin à Genève ou ailleurs, aimant beaucoup mais s’attachant difficilement jusqu’à sa rencontre de Marion.
Il y a du « héros de notre temps » chez ce quadra sympa que la romancière n’idéalise pas plus qu’elle ne le juge, dont le regard sur sa vie gagne bel et bien en densité sous l’effet de l’urgence et au fil de retrouvailles diversement vécues. Comme chez une Alice Munro, le roman de Mélanie Chappuis interroge en somme « ce que nous sommes devenus », sans amertume ni flatterie – avec une sorte de compréhension amicale. L’écriture très nette et fluide, les dialogues naturels et justes, la qualité des sentiments reliant tous les personnages (et jusqu’au ratage d’une amitié, avec un Damien plein de ressentiment), l’approche sans pathos d’une réalité dernière que nous nous masquons trop souvent, font de ce roman, où la tendresse le dispute à un bon sourire d’humour, un livre qui rompt avec la platitude ordinaire ou les effets de style. Mais j’aurai encore pas mal à en dire…
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J'ai passé beaucoup de temps, ce derniers jours, profitant du séjour de Lady L. à Amsterdam, pour faire de l'ordre dans le capharnaüm de mon antre, notamment en sortant, d'un placard, quelque mille livres empilés et donc non identifiables, que je vais reclasser dans un nouveau système de bibliothèques. J'ai vociféré, hier soir, contre la firme Interio où j'ai acheté un élément de bibliothèque blanche, aux montants et rayons très pesants, que je croyais donc solides, mais qui ont cassé au fur et à mesure du montage, me sont tombés dessus, ont refusé d'être cloués et m'ont tellement enragé que j'ai tout jeté par la fenêtre dans la neige d'en bas, après minuit. 120 francs de foutus. Après quoi je me suis rabattu, ce matin, sur le bas de gamme franchouille de la firme Conforama, où j'ai trouvé exactement ce qu'il me fallait: 5 bookcases fabriqués en Malaisie, que j'ai montés ricrac et qui me permettront de bien ranger, comme sur un fil, mes foutus rossignols
Or ce que j'écrivais en 2004 reste plus que jamais actuel après les attentats de janvier et le massacre du Bardo de cette semaine. Enfin je note que, sur les 70 pages précédentes, j'avais transcrit mes entretiens avec Amos Oz (le 25 février à Paris,à propos d'Une histoire d'amour et de ténèbres), de Jean-Claude Carrière et d'Henri Godard (à propos d'Une grande génération et de son édition de Céline à La Pléiade), à coté des notes relatives à une quinzaine d'autres livres.
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L'idée m'est venue, ces derniers jours, de compléter mes carnets de Mémoire vive, courant sans discontinuer de 1973 à 2015, par une série de notes de mémoire que je pourrais intituler Retour amont, titre d'un recueil de René Char que je vénérais autour de mes dix-huit ans, et qui remonterait jusqu'en 1966, date de mes premiers poèmes également « très Char » - comme l'avait relevé Georges Anex auquel je les avais soumis - et des notes consignées sur deux cahiers acquis à Cracovie et marqués POLSKI.
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Je lis ce matin, dans Marianne, que Manuel Valls reproche à Michel Onfray de se référer à Alain de Benoist, essayiste de droite qu'il dit préférer, quand il a raison, à un BHL estimé dans son tort. Cela nous ramène à l'énormité caractéristique des aveuglements idéologiques volontaires de notre génération, quand on affirmait qu'il valait mieux avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron...
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Dans L'Obs de la même semaine, à propos du même sujet, une dame Pia Quelque Chose, qui interroge à son tour le même Michel Onfray, évoque la"droite trouble" à laquelle participerait Benoist. Fichtre ! J'aimerais bien savoir comment on distingue une droite "trouble" d'une droite claire ! Et qu'en est-il de la gauche de L'Obs ? Est-elle donc si limpide ? Pour sa part, Onfray remet les pendules à l'heure avec aplomb et justesse, relevant le fait qu'il en a vu d'autres et me donnant très envie de lire son pavé de Cosmos...
Ce qu'attendant je vais revenir à son journal, qui m'a un peu raccommodé avec cet essayiste pléthorique à l'écriture par trop plate à mon goût, quoique beaucoup moins "trouble" que celle d'un Bernard-Henri Lévy...
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Ce qui ne l’empêche pas de noter joliment le lendemain : « La petite pluie serrée grignotait le gravier » .
Mais quelques jours plus tard : «À voir une fois encore toutes ces beauté du printemps, le regret de devoir disparaître à un épais goût d’amertume ».
Or j’aimerais ne jamais céder à cette aigre tristesse, même s’il n’est pas de jour où ma carcasse à moi ne grince un peu plus aux jointures, douleurs jambaires et fatigues croissantes, crampes nocturnes et palpitations dès que trop d’alcool dans le sang, souffle en baisse et pertes d’équilibre sur les pavés urbains, déclinant sourdingue et plus capable de rien lire sans lunettes - mais je me rappelle la joie de mon père au jardin alors qu’il en était à sa énième opération, s’excusant presque de tomber mais restant debout d’humeur et de regard, sans se plaindre jamais. Mon père est mort à 68 ans. Je l'aime toujours, mais j'aimerais bien, aussi, lui survivre un peu...
Louis Calaferte : « Toute cette jeunesse en allée… »
Et moi : « Mais non, vieux con : toute cette enfance qui revient »…