Ca barde à la rédaction

La réunion du comité de rédaction était ouverte depuis plusieurs heures et ça bardait. Le rédacteur en chef, le cheveu en bataille et la cravate dénouée, gesticulait en tous sens, postillonnant à droite et à gauche. Autour de la table, personne ne pipait mot, les yeux baissés sur des feuilles blanches.

Les feuilles blanches, c’était là tout le problème. Aucun des collaborateurs n’avait pu apporter un sujet pour l’édition du lendemain, chacun comptant sur l’autre pour cacher le manque d’inspiration des uns et des autres. Le temps passait, la journée s’écoulait et rien ne sortait de ces cerveaux pourtant rompus à l’exercice.

On ne peut pas refaire le coup de la citation tirée du Journal de Jules Renard, dit l’un ; ni même reprendre un fait sorti de la biographie des Rolling Stones, lâcha un autre. Evidemment que non, tonna le rédac’ chef ! Ils en ont marre, là-bas au pays des lecteurs, de vos facilités de feignants. Ca veut faire les malins, écrire un article tous les jours, mais quand on n’a pas l’envergure, on la ferme et on reste chez soi. Merde alors !

On pourrait revenir sur les résultats du premier tour des élections départementales ? C’est ça, tu t’imagines que tes analyses politiques réchauffées vont passionner les foules ? Et si on parlait football avec ce championnat au résultat final incertain, chaque équipe faisant des pieds et des mains pour caler quand il faudrait accélérer, ce qui laisse le PSG grignoter des places sans sortir le grand jeu ? Pffff…. Tu as tout dit en une phrase, ça fait peu pour un billet.

Les gobelets de café vides s’empilaient dans les corbeilles, la sueur aux aisselles prouvait la concentration des participants mais pour autant rien n’alimentait le grand tableau sur lequel, en temps normal, on notait toutes les idées géniales qui feraient de bons articles pour les jours prochains.

L’heure de la deadline approchait, le comité s’apprêtait à s’avouer vaincu. Alors j’ai dit : je peux peut-être faire la chronique d’un nouveau CD ? Ce n’est pas d’une originalité extraordinaire, mais ça nous fera gagner une journée et qui sait, l’inspiration viendra peut-être ? L’air las, tout le monde m’a regardé, tout le monde savait que c’était notre dernière chance, l’idée était d’une banalité affligeante mais qui avait mieux ? Personne.

Tu penses avoir le temps et pouvoir t’en tirer avec ce sujet ? A demandé le rédac’ chef. Et ce disque il est bon au moins ? Ne commencez pas à exagérer, j’ai répondu. Sur ce, je me suis levé et j’ai filé chez moi, j’ai glissé la rondelle dans le lecteur et j’ai commencé à me creuser le citron pour en sortir quelques lignes…