C'est important parfois de savoir faire quelque pas en arrière pour faire un vrai bond en avant. Ça s'appelle prendre son élan : il te suffit de regarder n'importe quel athlète pour te rendre compte que ça marche à tous les coups et pas que pour gagner une médaille de saut en longueur. J'ai testé - pour toi public - la technique de la prise d'élan il y a huit ans et ça a marché. Lis plutôt.
Juillet 2007, Capucine et moi faisons notre traditionnelle pause hebdomadaire au Charbon, elle avec sa bière, moi avec mon verre de Sancerre, pour débriefer de la semaine passée. Je viens de démissionner, Catherine (ami lecteur, petit effort de mémoire, Catherine c'est elle) est sur le point de me remplacer et voilà que je me retrouve jours après jours submergée par un état de panique insupportable. Me sentant prise en porte-à-faux entre un cimetière et une boîte de nuit (1), il ne fait aucun doute que je dois trouver un plan B et je suis alors convaincue que ce sera au fond de la bouteille de Sancerre que je le trouverai.
Dès le lendemain, en écoutant Jeanne Moreau me faire l'éloge de la vie de Cocagne, je me mets en quête d'un travail plus en adéquation avec mes envies du moment : un travail où mon rôle ne serait plus celui de trouver des noms absurdes pour les coloris de l'année - on se fout qu'une culotte s'appelle " schiste " puisque de toute façon tout le monde dira qu'elle est " gris souris " - ou de construire des plans marketing à rallonge par tour de dos et taille de bonnets.
Je me mets alors à surfer sur des sites de musées, de galeries d'art, de maisons de disques ou d'édition, pour voir si l'une de leurs offres d'emploi ne pourrait pas correspondre à mon profil. Mais dès que j'en trouve une intéressante, je m'imagine déjà y postuler avec mes gros sabots de capitaliste, forte de solides compétences dans le marketing et la finance, autant de qualifications à faire dresser les cheveux d'un conservateur de musée. Et puis il y a aussi cette voix persistante qui me répète à longueur de temps que la crise fait rage... alors tu penses, dans la culture.
Mais il y a aussi autre chose : j'entends dire que pour trouver du travail, il vaut mieux avoir la gueule de l'emploi. Comme ça, le job aura tellement l'air de nous aller comme une moufle que le recruteur nous embauchera sans l'ombre d'une hésitation. Comme l'ethnologue analyse le troupeau et use de savants camouflages pour s'y fondre et l'étudier de plus près, le candidat doit examiner avec précision le champ d'activité qui l'intéresse afin d'adapter son look. C'est comme ça que j'apprends que le futur banquier a tout intérêt à endosser son plus bel ensemble chemise-bleue-cravate-jaune et l'apprentie chef de produit cosmétique à se badigeonner d'une bonne dose d'eye-liner et de rouge à lèvres waterproof. Quand je me penche plus précisément sur le secteur qui m'intéresse, celui de l'art contemporain, les résultats de mon analyse sont sans équivoque : pour réussir dans ce domaine, il faut être gay. Il doit forcément exister une autre solution, me surprends-je à penser, que celle de changer de sexe pour ne plus voir de lingerie de ma vie.
Ami lecteur, je sens que tu es en train de reconsidérer un fait qui te semblait pourtant établi depuis le début (te faisant la judicieuse remarque que " BoBo ", avec tous ces " O ", sonne bien plus masculin que féminin). Pas de conclusion hâtive je te prie, " BoBo " est suivi d'un " Mademoiselle ", je suis une fille et tiens à le rester (je n'ai peut-être aucun amour-propre mais j'essaie malgré tout d'imposer certaines limites à mon épanouissement professionnel).
Mais trêve de digression. Je poursuis désespérément mes recherches sur les sites d'emploi pour " cultureux " en tout genre (et de tout sexe)(et de toute orientation sexuelle), quand mon œil tombe sur la publicité d'un master spécialisé dans les métiers de la culture. Mon sang ne fait qu'un tour, ma souris qu'un clic. Je m'imagine déjà sortir de mon armoire mon cartable, mes copies doubles Clairefontaine, mon stylo plume Schaeffer et mes effaceurs. Dommage que la colle Cleopatra au doux parfum d'amaretto ne soit plus vraiment utile au delà du CM1 car l'idée de renouer avec toutes les fournitures scolaires de mon enfance est alors loin de me déplaire.
Les inscriptions au master se concluent deux jours plus tard. Sans perdre une seconde, je rassemble toutes les pièces du dossier : des formulaires longs comme un annuaire téléphonique, une lettre de motivation, deux autres de recommandation et un curriculum vitae. Et c'est avec beaucoup de conviction que je m'apprête non seulement à renoncer à un contrat que je viens de signer (et accessoirement le salaire qui va avec) et à quatre ans d'un début de carrière déjà toute tracée, mais aussi à faire trois pas en arrière pour reprendre mon élan dans une autre direction.
Ami lecteur, j'aimerais pouvoir entretenir le suspense encore un peu mais il me semble qu'il y a eu suffisamment de spoiler dans quelques-uns de mes derniers billets pour que tu te doutes que j'ai décroché ce master. Mais puisqu'il est souvent utile de faire trois pas en arrière, je n'hésiterai pas à revenir sur cet épisode. Qui sait si ça ne me donnera pas l'élan d'aller ailleurs.
(1) Non, je ne suis ni fossoyeur ni videur. En revanche toi, tu es perdu si tu ne sais pas ce dont je parle. Alors le coup du cimetière c'est là, et le coup de la boîte de nuit c'est ici.