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Tu te rends compte de la chance que t’as ?

Publié le 20 mars 2015 par Bobo Mademoiselle @bobo_mlle

Tu te rends compte de la chance que t’as ?Oui, justement je me rends compte de la chance que j'ai et c'est AUSSI ça le problème. Je viens de sortir d'une journée éreintante au bureau, cet endroit où je passe plus de deux tiers de mon temps. J'ai l'impression d'être dans un tunnel sans fin : oui, mon travail est intéressant, sur le papier il s'agit même du job idéal. Et oui, je suis insatisfaite de mon quotidien, sans raison objective (d'après ce qu'on me répète à longueur de journée). Alors c'est vrai : j'ai un rôle social, je gagne ma vie, je peux payer mon loyer, m'offrir ce qui parvient encore à m'insuffler quelques bouffées d'enthousiasme de temps à autres - quelques livres, une paire de Chie Mihara, un billet pour Florence. Mais il suffit que je pense une seconde que ma vie pourrait continuer comme ça à l'infini pour que je me mette à pleurer. Et je ne m'autorise pas à changer parce que JUSTEMENT je ne me rends que trop bien compte de la chance que j'ai.

Ami lecteur, il y a huit ans, cette situation m'a plongée dans un insupportable moment de flottement qui a duré plus de six mois, constructif certes, mais il aurait pu durer moins longtemps si on ne s'était pas amusé à me scier les jambes quand j'évoquais la possibilité d'un changement. Qui par peur " de l'état déplorable du marché de l'emploi " et de " la hausse persistante du chômage ", qui par souci de " cohérence du plan de carrière ", de nombreuses personnes se sont mises en travers de mon chemin pour m'empêcher de le quitter. Je ne peux pas leur en vouloir puisque leur réaction part d'un bon sentiment. Mais comme chacun sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

En tous cas, ces considérations sur ma vie active, ce job que je ne devais en aucun cas abandonner, me faisaient l'effet d'une condamnation à perpétuité à chaque fois qu'elles étaient prononcées. J'en ai été réduite à avoir peur de faire le moindre mouvement, plongée dans une angoisse paralysante à l'idée de perdre quoi ?, rien de plus qu'une situation qui faisait rêver tout le monde sauf moi. Fort heureusement, il y a huit ans, en plus de la chance que j'avais déjà, j'ai eu celle d'être débauchée (quel dommage de n'avoir pas joué au loto, avec toute cette chance j'aurais pu faire un carton, mais maintenant que j'y pense je n'hésiterai pas à la tenter au prochain euromillion).Quoi qu'il arrive j'allais enfin bouger, sortir de la routine (même s'il s'agissait d'en adopter une nouvelle). Si je n'avais pas eu cette " soupape ", je n'aurais jamais été capable de réellement " bouger ", c'est à dire de rompre avec ce système qui alors me déprimait (car, ami lecteur, si tu me suis assidûment, tu sais que j'ai finalement renoncé à cette entreprise qui m'avait recrutée pour faire toute autre chose, et tu découvriras bien assez tôt quoi)(#TeasingDeOuf n°3).

Aujourd'hui, après huit ans, j'en suis revenue au même point (je t'autorise à penser que j'ai une autonomie limitée). Je commence à avoir l'habitude et me remets - non sans souffrance - à justifier à droite et à gauche cet épuisement moral, ce besoin de changement que je ressens de façon toujours plus pressante. Il se trouve que ma situation est encore plus enviable que la précédente (je précise qu'elle ne s'est pas construite toute seule, mais elle a été arrachée avec les dents à force de ténacité et de détermination, l'épuisement n'est donc pas fortuit). Le problème c'est qu'aujourd'hui, la courbe du chômage ne s'est toujours pas inversée (on nous rabâche suffisamment les oreilles avec ça au point qu'il semble presque que ce phénomène soit auto-entretenu : si on continue de se convaincre qu'on ne sortira pas de la crise, l'inertie sera telle qu'on n'en sortira vraiment pas) et qu'une " soupape " ne s'est donc pas encore présentée d'elle-même (on ne peut pas forcément gagner à tous les coups)(je dois tout compte fait penser à réévaluer mes chances de gain au loto).

Alors quid ? me dis-je. Dois-je continuer à souffrir en silence pour une durée indéterminée ou bien tout lâcher avec un immense sentiment de culpabilité " vu la chance que j'ai " ? Eh bien j'ai décidé que ce ne serait ni l'un ni l'autre. La vie est trop courte pour que je me contente d'une situation qui ne me convient plus pleinement. Par ailleurs, les raisons pour lesquelles elle ne me convient plus n'appartiennent qu'à moi et je ne demande à personne d'assumer à ma place les conséquences de mes choix. A la question " faut-il être naïf ou cinglé pour plonger dans le grand bain du non-emploi " (1), je réponds une fois de plus ni l'un ni l'autre. Il est humain d'avoir envie d'ailleurs et chacun devrait se sentir libre d'assouvir ce besoin de s'échapper pour chercher son bonheur au-delà des remparts que la société s'est chargé de construire autour de lui.

Crois-en ma vieille expérience, une fois que tu as donné ta démission, le plus dur est fait (enfin presque). Et une fois qu'il n'y aura plus de retour en arrière possible (parce que n'imagine pas que ton employeur te réengagera : dans le monde impitoyable de l'entreprise, malheureusement on n'a droit qu'à une seule chance), ce que tu entendras autour de toi ne sera plus " non mais tu t'rends compte de la chance que t'as " mais " tu fais preuve d'un tel courage ".

De la chance, du courage, c'est un bon début non ?

(1) Marc-Arthur Gauthey, " Ces jeunes talents qui partent en courant " - magazine.ouihare.net, 19 février 2015
http://magazine.ouishare.net/fr/2015/02/ces-jeunes-talents-qui-partent-en-courant/


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