Ca peut sembler gueu-din (pour reprendre une expression que j'affectionne) mais c'est pourtant vrai : mon destin est étroitement lié à la façon dont je choisis mes sous-vêtements chaque matin. Ami lecteur, je t'imagine interdit face à ton écran, mais lis ce qui suit et tu verras, il n'y a pas d'autres mots : c'est proprement gueu-din.
Juillet 2007, j'ai donné ma démission depuis un peu plus d'un mois. Catherine, qui me remplacera dans deux mois, quand enfin je quitterai les lieux, vient de rejoindre l'équipe. Deux mois de biseau donc, au cours desquels je dois lui expliquer la mission de l'entreprise, les méthodes de travail et les projets à venir.
Catherine a les dents longues : de trois ans mon aînée, elle a travaillé jusqu'à maintenant dans l'industrie du jouet et en particulier de la poupée. Elle est désormais bien contente de passer à un environnement qu'elle considère plus adapté à sa féminité. Elle a d'ailleurs décidé que tout ce qui compose sa vie sera dorénavant " sexy ". Elle vient d'avoir trente ans et le changement de décennie l'a convaincue à troquer ses verres double foyer contre une paire de lentilles colorées, à se lancer dans un régime draconien et à commencer une lutte effrénée contre ses problèmes de peau. Malheureusement, c'est sans élégance qu'elle affronte ce changement radical de physionomie. Pas prête une seconde à mettre de côté ses stratégies marketing d'optimisation et de retour sur investissement dans les questions personnelles, Catherine pense avant tout rentabilité, efficacité, optimisation des coûts. Elle va au plus vite, au moins cher, au plus évident, quitte à cumuler les fautes de goût. Ses décolletés de supermarché ne laissent planer aucun doute sur les intentions de cette future cougar, pas plus que sa démarche - branlante, juchée sur ses plateformes de douze centimètres.
Mis à part son physique, Catherine a tout d'une gagnante. Moulée dans son jean taille basse, son opulente poitrine posée sur le clavier de l'ordinateur, elle aime répéter qu'elle est bien contente de " mettre un peu d'ordre dans tout ça, car ça en a bien besoin ". Et la voilà qui m'explique par le menu, en illustrant son récit d'anecdotes personnelles, que mon budget devrait laisser davantage de place aux sous-vêtements en dentelle, aux guêpières et aux shortys échancrés. " Oui et non " m'entends-je lui rétorquer, " la culotte ou le boxer en coton peuvent parfois être très pratiques ". Mais à quoi bon expliquer à ce contre-exemple du raffinement ma technique de " l'habillage à rebours ", la seule capable de garantir une invisibilité totale des sous-vêtements (convaincue que si on les appelle " sous-vêtements " c'est bien parce que leur rôle n'est pas de remonter à la surface).
Ami lecteur, le moment est venu de prendre des notes : " l'habillage à rebours " est une technique très simple que j'applique tous les matins et qui consiste simplement à choisir mentalement l'ensemble de ses vêtements en commençant par la dernière chose qu'on va enfiler (les chaussures, le manteau) puis petit à petit ce qu'on mettra en dessous (le pantalon/la jupe) et ainsi de suite jusqu'à choisir les sous-vêtements les plus adaptés - une culotte qui ne marquera pas la fesse d'un pli disgracieux et le soutien gorge dont les motifs ou les reliefs ne jailliront pas sur le tissu du chemisier. Une règle simple donc, et infaillible quand on a une image précise de ce à quoi on veut ressembler.
D'où cette question qui a fini rapidement par me tarauder alors que Catherine me parlait : ai-je envie de ressembler un jour à ce requin de la lingerie ? A moins que je ne lui ressemble déjà car, après tout, si elle avait été choisie pour me remplacer, il n'était pas exclu de penser que nous avions quelque chose en commun, un je-ne-sais-quoi qui nous permettrait d'assurer avec la même efficacité le même rôle à l'intérieur de l'entreprise.
C'est pour me convaincre du contraire que j'ai pris la décision de changer de voie et d'appliquer à mon destin cette technique de l'habillage à rebours. A quoi ai-je envie de ressembler ? Je me suis donc représenté un nouveau moi - en l'occurrence un " moi " qui travaillerait dans un milieu créatif où l'on côtoie plus de gens qui réfléchissent que de matières synthétiques - puis j'ai assemblé un à un et en commençant par la fin les différents éléments qui me permettraient d'y accéder. Crois-le ou non, ami lecteur, cette technique a fonctionné.
Alors évidemment, même si Catherine a sa grande part de responsabilité dans ce choix de reconversion de dernière minute, l'idée de troquer un cimetière contre une boîte de nuit a aussi beaucoup joué. Tu te demandes toujours où je suis et comment j'y suis arrivée ? Demande-toi plutôt comment tu choisis tes sous-vêtements pour comprendre qui tu es.