Magazine Journal intime

Ne pas se sous-estimer

Publié le 18 mars 2015 par Bobo Mademoiselle @bobo_mlle

Ne pas se sous-estimerNous sommes tous d'accord pour dire que les crises existentielles si répandues par les temps qui courent ne sont qu'un phénomène épocal. Il y a 100 ans c'était la guerre, rebelote trente ans plus tard, la fin des années 60 n'a pas non plus été de tout repos : chacune de ces époques a marqué un tournant et a donc été charnière, à l'instar de celle que nous vivons, caractérisée par la crise, la peur et l'inertie. Si l'on en croit la définition du mot " charnière " (" en apposition, avec ou sans trait d'union, indique que quelque chose est une transition entre deux domaines, deux périodes, etc. "), mon âge l'est aussi (charnière), en apposition et sans le moindre trait d'union.

Il y a des évidences qui s'imposent en fonction des moments que l'on vit. Quand on sort de la fac, on cherche un stage. Quand on sort de stage, on cherche un poste de junior. Mais quand on a dix ans d'expérience, qu'on n'a pas vu le temps passer (et que, accessoirement, à force de s'étaler de l'anti-ride, on a toujours l'air d'avoir 25 ans), on cherche quoi ? C'est d'autant plus difficile qu'en période de crise, des offres d'emploi énigmatiques pullulent sur la toile : du " faux débutant " (?) avec de solides compétences en gestion de projets au " junior " pourvu de dix ans d'expérience minimum en management. Alors quid ? me dis-je, où dois-je me situer ? Etant donné que bien souvent, toute la différence entre des postes destinés à des " confirmés " et d'autres dont on ne se sait pas très bien à qui ils s'adressent réside essentiellement dans le niveau de salaire, la vraie question à se poser est combien vaux-je ?

Fût un temps on débauchait. Je me rappelle encore de ce jour bénit d'avril 2007 où, alors que je périssais dans mon bureau rempli de lingerie surplombant le cimetière (si, si, rappelle toi, c'est ici), j'ai reçu un coup de téléphone de notre concurrent direct pour un entretien dans leurs bureaux, se trouvant, eux, juste en face d'une boîte de nuit. Lors de l'entretien, quand le responsable des ressources humaines m'a soufflé que mon nom circulait dans le milieu de la lingerie, j'avoue avoir été partagée entre un sentiment de désarroi profond et de fierté sans borne. Désarroi car manifestement, on parlait de moi " dans le milieu de la lingerie ", c'est à dire le milieu de la " culotte ", de la " gaine ", du " string ", probablement un soutien gorge dans une main et une guêpière dans l'autre. Je ne savais pas quoi penser de l'existence d'un tel milieu et encore moins du fait d'y appartenir à mon insu... j'étais prise de court. En même temps pour la première fois de ma vie quelqu'un essayait de me débaucher et ça, qu'on le veuille ou non, c'était quand même extrêmement excitant. Ces pensées se bousculaient mais j'essayais malgré tout, péniblement, de garder en tête que j'étais au beau milieu de nulle part, de l'autre côté du périphérique sud, à très exactement une heure et trente-deux minutes de chez moi.

J'avais mené cet entretien sans la moindre pression, parlant franchement, faisant des blagues, bref, tentant de me rendre sympathique (après tout je ne savais pas ce que je faisais là, alors autant passer un bon moment, m'étais-je dit). J'avais envie de quitter mon travail vue sur cimetière certes, mais certainement pas pour aller m'enterrer aux portes d'une boite d'une nuit. Quand on m'a proposée de passer d'autres entretiens, je m'y suis présentée comme une spectatrice de mon propre destin, spontanée et détendue. Il faut croire que cette décontraction a conquis mes interlocuteurs qui ont fini par me créer un poste. Ils m'ont fait miroiter (outre un salaire disproportionné) des cartes de visite, un téléphone portable (un motorala, certes, mais rappelons-nous que nous sommes en 2007 et qu'à cette époque nous jouions encore à Snake sur nos Nokia), et même un taxi à disposition les soirs de rush : c'était bien plus que ce que je ne pouvais espérer (vu mon jeune âge)(qui n'a pas changé), mais aussi la preuve qu'on pouvait tout obtenir avec flegme et insouciance. J'ai évidemment signé et j'ai alors vécu l'un des moments les plus grisants de ma vie : celui où j'ai déposé (fièrement) ma toute première lettre de démission.

Ami lecteur, j'aimerais pouvoir te dire que j'ai fait une longue carrière dans la lingerie, que ce concurrent en question m'a fait un pont d'or et m'a promue " Directrice Monde " de la guépière vintage mais il n'en est rien. J'ai beau avoir accepté ce salaire mirobolant et signé le contrat qui allait avec, je n'y suis jamais allée (pourquoi me diras-tu ? tu le sauras tôt ou tard #TeasingDeOuf n°2).

Alors forcément aujourd'hui, huit ans plus tard, avec une expérience nettement plus solide, quand mon cœur balance entre un poste de direction et un autre ostensiblement sous-dimensionné, je m'interroge. Cet âge charnière y est forcément pour quelque chose, cet âge entre-deux-chaises, aux appellations qui sonnent comme des oxymores, telles que " Jeunes adultes " ou " Etudiant attardé " au même titre que les " Faux débutants " et autre " Junior expérimenté " qu'on retrouve dans les annonces d'offres d'emploi. Je ne vais quand même pas espérer vieillir encore un peu pour conquérir une légitimité à priori déjà acquise (d'autant que je viens déjà de me prendre un an dans la vue pendant le week-end, c'est plus que ce que je ne peux supporter). Je vais plutôt cesser de me sous-estimer et tenter un envol vers des sphères un peu plus élevées (un peu d'idéalisme, nom d'un chien). Si la décontraction et la désinvolture sont toujours de mise, sur un malentendu ça peut peut-être marcher.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine