Ami lecteur, n'y allons pas par quatre chemins, nous pouvons tout contrôler sauf le temps et, en ce qui me concerne, cette idée me rend gueu-din (j'ai beau cherché, il n'y a pas d'autres mots).
Qu'on le veuille ou non le temps passe plus vite : ces semaines, qui semblaient des années quand tu avais quatre ans et que tu te trépignais à l'approche de Noël, durent maintenant quelques heures seulement, juste le temps de bosser, lire quelques bouquins, faire deux-trois voyages, et voilà que les Champs-Elysées ont déjà revêtu leur tenue de fête. Alors quoi, te dis-je, c'est déjà l'hiver ? Un rapide bilan de ton année aura fini de te désespérer (tu auras, je le répète, bossé, lu quelques bouquins, fait deux-trois voyages. Tu n'auras concrétisé aucun des grands projets que tu mûris depuis des années pour changer le monde, tu n'auras respecté aucune des grandes résolutions que tu t'étais fixées, bref : une année médiocre, ni bonne, ni mauvaise à l'instar des journées qui défilent les unes après les autres et au cours desquelles tu bosses, tu lis et tu fais deux-trois voyages).
Quand, plusieurs années de suite, le bilan te procure ce niveau de satisfaction, tu commences à te poser de sérieuses questions : quand viendra finalement le moment où j'accomplirai quelque chose de grand (pas forcément pour l'humanité, nous n'avons pas cette prétention)(mais après tout pourquoi pas). Sauf qu'à mesure que le temps passe, tu as l'impression d'avoir de moins en moins de temps. Ami lecteur, je suis navrée de plomber ta journée avec ces quelques lignes, mais c'est pourtant la vérité : nous n'avons jamais été plus près de la fin que maintenant et quand tu auras fini ce billet, tu auras cinq minutes de vie en plus et à fortiori cinq minutes en moins à vivre. Pas de temps à perdre donc.
Pour pallier à cette énorme pression quotidienne, outre me tartiner le visage d'anti-ride à coup de truelle tous les matins pour tenter de tromper les signes du temps, j'essaie de garder le contrôle sur chaque plage horaire de mon agenda. Loin de m'exprimer comme 80% des parisiens - tour à tour " charrette " ou avec une " fenêtre de dispo " entre 15 et 16 - j'ai décidé dorénavant d'occuper mon temps aussi à des activités qui n'intéresseraient que mon bilan de fin d'année. D'aucuns appellent ça du " développement personnel ", moi j'appelle ça " foutez-moi la paix deux secondes ". Car voilà, depuis trop longtemps, dans ce monde où tout va plus vite, je n'ai pas une minute de répit : le téléphone sonne, on t'envoie un poke sur facebook, un mail sur ta boîte perso, un autre sur ta boîte pro, tu fais partie de vingt groupes whatsapp, on te contacte sur skype, facetime et viber de partout dans le monde et comme si ça ne suffisait pas, tu en rajoutes en twittant et retwittant frénétiquement les quelques articles que tu as eu vaguement le temps de survoler en t'ébouillantant avec ton café le matin même (pas le temps d'attendre qu'il ne refroidisse, et puis quoi encore). Si tu veux mon avis, nous sommes beaucoup trop sollicités au XXIème siècle, au point d'en devenir fou (béni le temps où on se déplaçait au rythme des calèches, où on s'écrivait des lettres à la main - pas plus d'une par jour - où on savait tout simplement prendre le temps de vivre. Bref le temps où nous n'étions pas là à poster des photos de chat sur les réseaux sociaux comme des cons).
Ami lecteur, j'entends ton esprit sagace se demander alors pourquoi j'ajoute en plus wordpress à toutes ces technologies qui font régulièrement irruption dans ma vie : au moins quand je nourris ce blog, je prends le temps de faire le point. A défaut de pouvoir " tuer le temps " (au sens propre), j'arrive à l'oublier pour quelques instants.
Mais que vient faire l'horloge biologique là-dedans, me diras-tu. Eh bien c'est très simple : tu as été harcelé pendant des années, tu as voulu te dépêcher, guidé par ce sentiment que le temps, lui, n'attend pas. Arrive forcément le moment où, épuisé, tu as besoin de t'arrêter. Mais s'arrêter pour quoi ? Là est la question. Si tu es une femme d'un certain âge, très naturellement tu en profiteras pour faire des projets d'enfants. Loin de moi l'idée de mettre en doute les joies de la maternité, mais on ne me fera pas croire que l'envie de faire des enfants soit uniquement motivée par le besoin de fonder une belle et heureuse famille (si ça l'était, elle serait tout de suite contrebalancée par la pensée des réveils à l'aube, des couches à changer et de tous ces instants de tranquillité à mettre entre parenthèses pendant une quinzaine d'années). Ce choix découle forcément de la nécessité physiologique de faire une pause professionnelle pendant quelques mois. FORCEMENT. En tous cas, celles qui, comme moi, ne sont pas prêtes à sauter le pas finissent par accoucher d'un burn-out (ce qui n'est finalement pas si loin d'un baby blues, CQFD).
Cela dit, apparemment du temps j'en ai encore beaucoup. Aujourd'hui, par exemple, tout le monde me téléphone pour me souhaiter de vivre jusqu'à 120 ans...