Écrire pour ne pas vieillir ou il ne faut pas enterrer les vieux mots

Publié le 04 avril 2015 par Claudel
De la neige et du vent pendant la nuit. Un peu choquée contre cet avril qui hésite entre l’hiver et le printemps. Le temps de déjeuner et le soleil se pointe. Meilleure humeur.
Si l’hiver québécois est un temps pour rester à l’intérieur de la maison et de soi, à lire à écrire, à rêver, le printemps pour moi qui suis née en avril, c’est une naissance, un nouvel élan vers le dehors, vers la sortie, vers le nouveau. Vers l’agir.
« Aurai-je plus lu que vécu, plus écrit qu’agit » Yvon Paré se le demande dans le collectif Comme une seule voix. Je me le demande aussi. Depuis au moins quarante ans. Déjà au temps de la lecture de Mathieu de François Loranger (à voir combien de fois je le cite, je vois bien quelle profonde marque il a laissée), j’avais plus d’hivers que d’étés. Je m’introspectais plus que je n'étudiais. Dans ma tête plus que dans mon corps. Je pensais ma vie plutôt que de la vivre. Après Mathieu, je n’avais pas cessé de lire, mais j’avais jeté mes cahiers d’écriture pour ne plus vivre dans le passé, pour sortir, pour vivre le présent. Je ne sais toujours pas si je lis trop, si j’écris trop au lieu d’écouter la mésange qui crie après moi pour avoir ses graines du jour, ou regarder la neige fondre, ou agrandir la rigole pour éviter que l’eau n’entre dans la cave. Pourtant, je ne sais comment faire autrement. Alors, même si j’étais observatrice, si j’étais sur une plage, si je pédalais sur un sentier, je voudrais encore écrire ce que je vois, ce que je ressens à voir ce que je vois, à entendre ce que j’entends.
Tout autre activité que de lire ou écrire m’apparait tellement vaine, tellement perte de temps. 
Je veux tant, je veux temps. 
Bientôt 65 ans. Où sont-ils tous ces écrits que je me promettais de livrer en pâture, quand j’avais 26 ans? Ils étaient jeunes, fringants, ces mots pas pressés de se montrer aux fauves. Ils avaient toute la vie devant eux. Le temps ne criait pas après eux. Ils ne savaient pas qu’ils pouvaient mourir le lendemain. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, ils savent, ils sont plus pressés, plus exigeants. Ils veulent sortir de sous la neige et se faire dorer au soleil.
Même mes vieux mots que je ne relis plus, comme si je n’en voulais que des neufs. Ceux des autres, bien souvent. Comme « dégoisait les dents serrées », « une méduse de flammes », « un remugle d’algues pourries » et des « giboulées coléreuses » de Robert Lalonde dans À l’état sauvage
Je n’en ai jamais assez, gourmande de mots. Une faim sans fin. En voici d’autres de Marie-Christine Bernard, dans un article de sa page Facebook: 
Meurs avec moi. L’heure avance. J’ai passé toute cette journée avec toi, j’ai regardé la mort faire son petit chemin de vide à travers les cellules de ton corps, j’ai essuyé ta bave et ramassé ton dentier. Tu ne vas pas attendre que je sois partie pour mourir. J’ai fait tout ce chemin pour être avec toi quand tu mourrais. Meurs avec moi.
Je mourrai peut-être avec les mots des autres au bout des doigts. Et pourquoi pas, la vie d’écriture n’est pas un concours à qui en aurait le plus, les meilleurs, les plus beaux ou les plus publiés.