Que celui qui a fait son " job out " guilleret et insouciant me jette la première pierre : une fois le moment d'euphorie galvanisante passé il laisse place au doute et à l'incertitude. Un peu comme si, après s'être arrêté net au terme d'une course folle, on réalise qu'on est au bord d'un précipice : on est donc partagé entre le soulagement de n'avoir pas été plus loin - un pas de plus et le gouffre aurait été pour notre pomme - et une immense sensation de vertige - car on a un pied dans le vide et l'autre qui ne sait pas bien où se caler pour ne pas tomber.
Alors ami lecteur, le mieux à faire quand on est au bord du gouffre c'est encore de s'assoir un instant et de reprendre son souffle. Ça tombe bien car tu es à bout de forces et qu'une petite pause ne serait pas de refus. Ça prendra le temps qu'il faudra, l'important c'est de ne pas tomber, il me semble. Cela dit, cette posture est loin d'être confortable, je te l'accorde. La vue est jolie, certes, le panorama offre plein de perspectives (aucun vis-à-vis, un calme plat, ça donnerait presque envie de se reconvertir dans l'alpinisme) mais elle est aussi effrayante. Malheureusement, et c'est là le problème majeur, en bas, ceux qui te voient assis les pieds dans le vide commencent à s'inquiéter pour toi. Que tu sois calme ou que tu montres des signes d'angoisse n'y change rien, en bas ça s'agite, ça te hurle de chercher autour de toi des chemins de repli ou ça te beugle de sauter sur le coussin gonflable déployé en contrebas pour la circonstance.
Voilà à peu près où j'en suis aujourd'hui, ami lecteur, en haut de ma falaise, à me dire que je pourrais peut-être en profiter pour contempler le paysage (si j'ai fait tout ce chemin et pris tous ces risques, autant que je sois récompensée par un moment de méditation ultime) sans y arriver puisque je suis constamment parasitée par des interférences provenant de l'extérieur (mais pas que : ma petite voix intérieure peut-être très pénible aussi quelque fois). Sans compter qu'être assise au bord d'une falaise c'est tout de même pas le pied : j'ai mal aux fesses, je suis paralysée par l'altitude et je commence à manquer d'oxygène.
Mais j'essaye de me dominer et de me convaincre que la première chose à faire est de ne surtout pas paniquer : ça prendra le temps qu'il faudra, après tout je tiens à ma vie, je ne suis pas une tête brûlée, donc à quoi bon prendre une décision hâtive qui risquerait d'empirer l'inconfort dans lequel je me trouve. Si ça suffit à calmer ma petite voix, ami lecteur, crois-moi il me faudra m'époumoner pour convaincre ceux d'en bas d'arrêter de s'agiter. C'est d'autant plus contrariant que je ne suis pas arrivée jusque là pour me sentir pressée de choisir un chemin plutôt qu'un autre. A cette incertitude insupportable avec laquelle je dois cohabiter, je n'aimerais pas ajouter les certitudes et le jugement des autres à qui je n'ai rien demandé.
Tout ça ne durera pas (c'est la seule certitude que j'ai) : on ne peut pas rester éternellement agrippé comme une bernique à son rocher. Je ne suis pas une bernique, je n'aime pas l'inconfort, je ne suis pas non plus stupide : trois raisons de taille pour que mon instinct de survie finisse tôt ou tard par se déclencher. Finalement, ce qu'il y a de plus dommage c'est d'être la seule à s'en rendre compte (j'espère seulement que mon entourage soit suffisamment perspicace et physionomiste pour ne pas me confondre avec une bernique). C'est pourquoi ami lecteur, je te le dis tout fort - en espérant que du haut de ma falaise, ma voix résonne en un puissant écho - pas de stress, j'ai décidé de prendre le temps qu'il faudra. Et si t'as peur pour moi, que tu te sens impuissant ou que tu ne me sens pas si à l'aise que ça, au lieu d'ajouter de la confusion à cette situation qui n'en manque pas, viens me rejoindre et tiens moi la main : ici l'air est plus sain, crois-moi.