Le mois dernier, je n'ai pas osé participer au festival " A la Croisée des Blogs ", dédié au développement personnel, dont le thème était " s'aimer soi-même ", organisé par MonaLisa, auteur du très sympathique blog " Le Bonheur pour les nuls ".
Ce mois-ci, le festival est organisé par Aurélien du blog " R**d Me I'm Famous " et nous interroge sur " prendre le risque de vivre ses rêves ".
Cette idée résonne si fort en moi, particulièrement en ce moment parce que je viens juste d'achever la lecture de l' Alchimiste de Paulo Coelho, que j'ai fini par mettre ma timidité de coté et vous offre ma contribution sous forme d'une petite nouvelle.
Si vous préférez une version imprimable de la nouvelle, téléchargez la gratuitement ici.
La chambre était plongée dans une douce semi-obscurité et seul le son strident d'un bip devenu régulier alternait au souffle court et feutré du vieux monsieur. L'infirmière entra, vérifia le rythme cardiaque sur le moniteur, ajusta le débit de la perfusion, adressa un regard au vieux monsieur maintenant profondément endormi et sortit. Le bruit sec de la porte se refermant le fit tressaillir légèrement.
- Georges, Georges, réveille-toi, vieille branche !
La voix était douce et posée. Georges distingua la silhouette, encore floue, d'un jeune homme debout près de son lit. Celui-ci fit un pas en avant et un rayon de lumière, à travers le store abaissé, illumina le visage de l'inconnu.
" Allez madame, il va falloir pousser maintenant ! " avait presque ordonné la sage-femme. Myriam était en sueur. Le rythme des contractions s'était accéléré depuis une demi-heure et chacune d'entre elles lui donnait l'impression qu'une lame d'acier lui transperçait le bas ventre. La péridurale ne faisait manifestement plus son effet. Son bébé se tenait prêt. Une seule envie au fond de lui.
" Que fais-tu ici ? " demanda le vieux monsieur, un éclair de lucidité dans le fond des yeux.
Le jeune homme le regarda tendrement.
Des regrets ? répéta-t-il la voix un peu rauque. " Non, je n'en ai pas, je ne crois pas. J'ai eu une vie merveilleuse avec Cassandra, trois beaux enfants, trois fils qui ont fait ma fierté. Je crois avoir été un honnête homme dans cette société, j'ai servi mon pays comme j'ai pu, toujours droit, je crois... ", s'enorgueillît-il un instant le regard un peu lointain.
Le vieil homme resta silencieux. Il semblait contempler un ciel qui n'existait pas.
Le vieillard se tourna cette fois vers son autre Moi et le fixa droit dans les yeux.
Les contractions étaient de plus en fortes. L'envie de pousser aussi. Le petit être qu'elle portait depuis neuf mois manifestait son désir de découvrir le nouveau monde qui allait s'offrir à lui. Neuf mois d'une vie aquatique, sécurisante où il s'était développé à l'abri des dangers du monde extérieur qu'il s'apprêtait bientôt à quitter. Il avait déjà beaucoup appris. Il savait reconnaître le rire de sa maman, il aimait les douceurs qu'elle grignotait lorsque son estomac criait famine, il savait reconnaître la voix de son papa et surtout il aimait ses caresses malgré la peau du ventre de sa maman qui les séparait encore. Ah, qu'il avait hâte d'explorer cet univers inconnu dont les échos se confondaient dans les gargouillements du liquide qui le préservait au chaud.
Une larme avait perlé sur la joue du vieil homme. Le soleil avait décliné derrière les stores abaissés.
" Quand tu avais 25 ans, tu as envoyé ton dernier poème à la maison d'édition Les Mouettes d'Or. Un an est passé sans que tu n'es reçu aucune réponse. Ta rencontre avec Cassandra a bouleversé ta vie. Amoureux, vous avez rapidement projeté votre vie ensemble. Après quelques mois seulement, vous vous êtes mariés et Cassandra est tombée enceinte de ton premier fils, Charles. Il vous a fallu rapidement subvenir à vos besoins et ceux de l'enfant. Tu t'es fait engager à l'usine pendant que Cassandra s'occupait de votre fils. Tu continuais d'écrire le soir, lorsque ta femme et ton fils dormait, car malgré tes journées harassantes, ton imagination était toujours prospère et ton inspiration ne te faisait jamais défaut. Mais tes pages restaient enfermées dans ton tiroir. Tout à basculer un jour de juin 1963. Une maison d'édition faisait la promotion de ses derniers auteurs et organisait une conférence-rencontre dans ta ville. "
Le vieil homme restait silencieux. Alors c'était ça, à l'heure du Grand Voyage, sa conscience venait lui torturer l'esprit, lui faire entrevoir la vie qu'il aurait rêvé de vivre s'il avait eu le courage de prendre un peu plus de risques.
" Allez madame, poussez fort, maintenant !". Dans un dernier effort, Myriam serra très fort le bras de son époux. L'instant suivant, elle sentit une douce chaleur s'écouler de son bas-ventre. Un petit être venait de pousser son premier cri. Il reposait paisiblement contre la poitrine de celle qui l'avait porté pendant ces neufs longs mois. Rien, non rien sur son petit visage, n'indiquait qu'il avait pris là le plus grand risque pour vivre sa nouvelle vie, faite de nombreux rêves à accomplir.
L'infirmière fut alertée par le clignotement de la petite lampe rouge reliée à la chambre 420. Quand elle entra, le moniteur de l'électrocardiogramme n'émettait plus qu'un bip long et continu. Elle s'approcha du lit. Le vieil homme semblait toujours endormi profondément, un sourire sur les lèvres.
Et vous, au moment du Grand Voyage, aurez-vous des regrets ?