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Chad (post-Atarɐxe)

Publié le 15 mars 2012 par Banalalban

(Damien Jurado / Chad VanGaalen, La Maroquinerie, 14-03-2012)

Chad, il a cette espèce de salive très étrange qui accroche la lumière, une salive de fou furieux, une salive que l'on ne voit que très rarement et qui scintille sous les spots et les gélatines, sous la langue, sur les lèvres, dans l'air : ça fait des fils qui font couler les filles dans les salles, sur les gradins. Chad fait des bulles avec sa salive et les cotillons de glaire rejoignent son micro et s'y infiltrent par les pores à mesure qu'il chante Peace on the Rise, au travers de la petite grille métallique. À l'intérieur, des câbles et des choses très complexes de l'électronique, les morceaux de salive de Chad se fraient un chemin derrière la membrane, la bobine et retrouvent La Grande Maîtresse Mollard, une collecte de tout ce qui se fait en matière de salive des chanteurs de La Maroquinerie : c'est une formidable et bien étrange présence au coeur même de l'appareil, une chose d'un centimètre sur deux qui se meut. C'est présent dans tous les microphones, c'est très connu mais c'est un peu secret comme un herpés. Spongieuse et vivante, La Sainte Morve se ballade lentement et questionne sur l'état du monde et de la création : dans quoi emprisonne-t-on l'Art ? D'où vient l'Art ou l'Inspiration ? Je reste persuadé que l'Art se trouve dans les sécrétions : ce n'est pas une chose de cerveau ou de vulgaires connexions synaptiques, non, c'est une chose de très organique et de peu montrable, c'est un corps caverneux qui se vide, une chose que l'on lâche et que l'on cache d'une toux qui ne trompe personne. C'est un point rose qu'on met sur l'i du verbe chier.

C'est la salive qui brille de Chad, ce n'est pas sa voix. La voix de Chad, c'est une couillasse : ce n'est jamais que la salive de Chad, c'est la salive de Chad.

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Quand tout à coup la petite connasse à gros seins qui passe devant toi lors d'un concert et puis qui appelle ses dix-huit copines ce qui fait qu'au bout d'à peine un quart d'heure tu te trouves dix mètres plus loin alors que la petite connasse et ses dix-huit copines se trémoussent en profitant de la scène mieux que toi.

Petite connasse qui passe devant toi, qui te fait un petit sourire qui dit : "pardon, je passe devant toi, hi hi". Toi tu la regardes et tu lui fais ton petit sourire n°18 qui dit "bin non petite connasse, tu passeras pas devant moi parce que d'une, tu n'as pas demandé (un sourire à la con rose bonbon ne suffisant pas) et que de deux, je connais l'astuce qui consiste à ensuite appeler tes dix-huit copines" puis, tu lui tires les cheveux pour la contraindre à baisser la tête et d'un petit coup violent mais très pertinent du genoux, tu lui pètes le nez et bien une ou trois dents. À la fin de la soirée, une femme de ménage la ramasse "oh bin tiens, c'est la petite connasse à gros seins qui appelle toujours ses dix-huit copines pendant les concerts" et la fout à la poubelle. Elle se retrouvera quelques heures plus tard, la petite connasse à gros seins, sur le terre-plein de la déchetterie de Nanterre à chanter :

They dumped her body into the molten light

Floated to the surface and it did not ignite

She rose up slowly and walked to the shore

She stood up on the banj and whispered

I'll find you and I'll kill you

I'll find you and I'll kill you

I'll find you and I'll kill you

I'll find you and I'll kill you

JE NE SUIS PAS MYSOGINE : mes personnages masculins sont des cons, mes personnages féminins, des idiotes. Et la petite connasse à gros seins se trouve être une fille dans cette histoire-ci, je n'y peux rien.

Parfois tu te surprends à avoir ce regard qui juge l'entrejambe de l'homme assis, et cela au travers d'un jean ou d'un vulgaire pantalon de toile. Et tu penses à la tienne et tout d'un coup, vous êtes connectés. Sauf que lui ne le sait pas.

Après tu considères : cet endroit en haut à droite que pourrait atteindre ta main lors d'un bras tendu est désormais la propriété d'un certain Hitler qui, très intelligemment, a fait de ce lieu, sa marque déposée. Ce n'est plus la place où tu désignes quelque chose là-bas au loin, ce n'est plus la place où tu prends autre chose sur l'étagère du haut, non, c'est le lieu du Heil. Point. Y'a plus le choix, c'est comme ça.

Y'a ce gars qui joue de la guitare et qui chante et qui ressemble à Gonzalo Cunill du Golgota Picnic de Garcia, le Gonzallo Cunill qui collait les cheveux de sa partenaire sur son ventre, ses couilles, son torse. Sauf qu'ici le gars qui joue de la guitare et qui chante ne colle pas les cheveux de son partenaire sur son ventre, ses couilles, son torse. Non. Il se contente de jouer de la guitare et il chante.

Les ours regardent pas droit dans les yeux, non, ils regardent par terre parce qu'ils n'ont pas conscience. Il fut un temps où, d'un grognement, ils faisaient fuir mais maintenant, c'est différent. Ils n'ont pas confiance en eux et ils ont vieilli : leurs tempes grisonnent, ils sont dégarnis. Leur poil et rêche ne suffisent plus. Ils n'ont plus d'assurance : ils fuient. Ils dévient et leur torse tombe quand avant bombe. Ils tordent la lumière autour d'eux. Home écrit en rouge sur une guitare ça veut dire : cachette, protection. Tout ça vient sur rien, ils fondent des foyers : les rivières sont désormais vides de tout saumon et on trouve désormais les poissons gras en supermarché, limite rouges dans leur sachet fraîcheur et sous-vide, gavés de sorte de krill coloré, tout raidis, les saumons congelés, et ils grandissent sous hormones empilés les uns sur les autres dans des filets alvéolés. Et les ours déambulent, hagards, dans les travées, autour des bacs à surgelés. Les griffes continuent de pousser mais elles ne s'éliment plus. La télécommande. La bière. Le Super Bowl. Alors ils chantent par dessus, avec une gratte.

Les hommes peuvent faire semblant d'allaiter et se faire téter le téton en toute innocence, seulement quelques poils ou je sais pas. Que raconter de plus après ça ? Les bébés seront traumatisés, c'est certain. Prétendre le contraire, c'est pffffui...

Oh mais sinon, tu sais, je t'ai vu lors de la première partie, puis je t'ai vu, lors de la seconde. Ne crois pas que je ne t'ai pas remarqué. Si je ne t'ai pas suivi ensuite, c'est que parce que, j'avais bien d'autres choses à faire, des gens à voir, une foule d'occupations qui ne te concernaient pas, ça n'a rien à voir avec une sorte de timidité ou bien une incapacité à répondre à des appels si simples, oh non... tiens, je te présente la petite connasse à gros seins, peut-être pourrez-vous conclure quelque chose d'ici la fin de la soirée... Moi je m'en vais, j'ai à discuter avec le gobelet écrasé qui jonche le sol.

Hier soir, on a sorti les pères de famille. C'est comme si j'avais vieilli d"un coup d'un seul. Les chanteurs sont assis. Ils donnent le biberon. Ils sont très bien mariés et heureux. Ils sont à la tête d'une grande tribu qui fait comme une lèvre gercée. Les bébés seront traumatisés, c'est certain. Prétendre le contraire, c'est pffffui...


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