En maya, la victime et l'assassin...

Publié le 15 janvier 2015 par Jcr3

Jaya et Vijaya, les deux gardiens de Vaikuntha

Traduction, avec l'aide de Google, d'un article de Devdutt Pattanaik ( Site - faceBook), physicien Indien, versé dans la mythologie. J'ai fait cette traduction pour vous apporter son regard inhabituel sur la violence et le terrorisme. Article complet (quasi, allez vérifier).

( Hindu Times, article en anglais)

La violence psychologique n'est pas mesurable. La violence physique, l'est, ce qui en fait un crime qui peut être prouvé et donc un crime plus grand, en particulier lorsque la violence émotionnelle est dirigée vers quelque chose d'aussi métaphysique que la religion.

Lorsque les Pandavas ont invité Krishna à être l'hôte d'honneur au couronnement de Yudhishtira, Shishupala s'est senti insulté et a commencé à invectiver Krishna. Tout le monde s'est fâché, mais pas Krishna qui écoutait calmement. Cependant, après la centième insulte, Krishna lança son disque acéré comme un rasoir et Shishupala fut décapité. La limite du pardon était atteinte...

Charlie Hebdo, un hebdomadaire satirique français, a publié des caricatures; caricatures offensantes que je n'avais jamais vu, et n'aurait jamais vu, si quelqu'un n'avait pas tué son personnel.

Après cela Charlie est devenu une personne, une victime, un martyr de la liberté d'expression. Nous sommes devenus des héros en condamnant le meurtre. Et ainsi des millions ont marché à Paris pour déclarer qu'ils sont Charlie.

Y aura t-il une marche où les gens se mettront dans la peau des tueurs de Charlie? Est-ce autorisé? Qui sont les tueurs? Des musulmans, de mauvais musulmans, des musulmans fous, des musulmans non-islamiques?

Les éditoriaux sont indécis, comme dans l'attentat contre les écoliers de Peshawar. Les victimes ne pouvaient pas être au départ de la provocation ; leurs parents, probablement...

La provocation dans le cas de Charlie était la suivante : insultes reconnues contre le Prophète Muhammad, de la, contre l'Islam.

Charlie, cependant, exerçait ses activités dans le cadre des lois d'un pays réputé pour la phrase, " Liberté, Égalité, Fraternité" !

L'islam aussi peut revendiquer la fraternité (Ummah, en arabe) et l'égalité, mais pas la liberté puisque Islam signifie ''soumission'', une soumission à la Parole de Dieu qui apporte la paix.

Gerer le mesurable

Deux frères et sœurs, croyants en l'égalité et en leur propre version de la liberté ont décidé de se faire du mal les uns les autres, l'un émotionnellement, l'autre physiquement.

La violence émotionnelle n'est pas mesurable. La violence physique l'est.

Cela fait de cette dernière un crime qui peut être prouvé, de là un plus grand crime, en particulier lorsque la violence émotionnelle est dirigée vers quelque chose d'aussi immatériel que la religion.

Parce que nous sommes des scientifiques, voyez-vous.

Et voici le cœur du problème - la mesure, cette pierre angulaire de la science et de l'objectivité. Nous pouvons gérer le mesurable. Mais que dire du non-mesurable ?

Est-ce que cela ne compte pas du tout ?

Les émotions ne peuvent pas être mesurées. L'esprit ne peut pas être mesuré, c'est pourquoi les puristes confinent la psychologie et les sciences du comportement rang de pseudosciences.

Dieu ne peut pas être mesuré.

Pour le scientifique, Dieu n'est donc pas un fait. Il est au mieux une notion.

Cela agace le musulman, car il / elle croit en Dieu, et pour lui / elle, Dieu est un fait, pas un fait mesurable, mais un fait néanmoins.

C'est la vérité subjective. Ma vérité. Est-ce que cela compte ?

Où situons-nous la vérité subjective : comme un fait ou comme une fiction ?

Certaines personnes se sont donné la " liberté d'expression" et d'autres se sont donné un '' Dieu, qui est le seul vrai Dieu."

Dans les deux cas il s'agit de vérités subjectives. Elles façonnent notre réalité. Elles comptent. Mais nous ne savons pas où les situer, car elles ne sont pas mesurables.

Nous ne pouvons pas mesurer la douleur que les caricatures de Charlie ont causé a la communauté musulmane.

Nous ne pouvons pas mesurer la sensibilité voire sur-sensibilité de la communauté musulmane.

Mais nous pouvons mesurer le résultat des actions des tueurs. Nous pouvons donc facilement condamner la violence.

Ce qui a causé assez de douleur, de colère et d'humiliation, pour que certaines personnes prennent les armes, reste une hypothèse non mesurable, une croyance.

La croyance c'est de la blague pour l'athée rationnel. L'intellectuel peut faire mal avec ses mots. Le soldat peut faire mal avec ses armes.

Nous vivons dans le monde où le premier est acceptable et même encouragé. Le suivant ne l'est pas.

Le village planétaire a adopté le néo-brahmanisme .

Ceux qui pensent et parlent sont supérieurs à ceux qui battent et tuent, même si les blessures causées par les mots-missiles peuvent être plus profondes, durent plus longtemps et s'enveniment toujours.

Gandhi, le sage non-violent, est donc opposé à Godse, la brute violente.

Moi, l'intellectuel, ai le droit de provoquer; mais toi, le barbare qui ne sais qu'exercer la violence, n'as aucun droit de provoquer et de répondre de la seule façon que tu connaîs.

Si tu as été provoqué, tu dois répondre dans ma langue, pas la tienne, le cerveau pas les muscles, parce que le cerveau est supérieur.

Moi, le brahmane, l'intellectuel, je fais les règles. Ne le savais-tu pas ?

La non-violence est le nouveau Dieu, le seul vrai Dieu.

Quand nous disons que la violence est un crime, nous nous référons uniquement à la violence physique du barbare. La violence mentale de l'élite intellectuelle n'est pas considéré comme de la violence.

Donc, certains on l'autorisation de se moquer intellectuellement de l'hindouisme au cinéma (PK par Rajkumar Hirani et Aamir Khan) et dans les livres (Les Hindous: une histoire alternative par Wendy Doniger), mais ceux qui exigent que le film soit interdit et que les livres partent au pilon sont des brutes, des barbares, des ennemis du débat citoyen, qui n'ont que le recours à la violence.

Ils ne sont pas aussi mauvais que les tueurs de Charlie, mais ils semblent emprunter le même chemin.

Rôle du penseur

Nous refusons de concevoir qu'une guerre sans effusion de sang soit brutale, de même nous rejetons la notion de guerre mentale.

Nous ne concevons pas nos sociétés de débats comme des champs de bataille. La torture mentale, nous dit-on, est simplement un concept, pas un fait : difficile à mesurer et donc à prouver.

Le mari qui torture mentalement son épouse, ne sera jamais condamné ; le mari qui frappe sa femme peut l'être.

Nous pouvons comprendre pourquoi dans le dernier cas, mais nous avons du mal à concevoir la violence dans le cas précédent (''elle est trop sensible'', nous rationalisons). Si la femme torturée mentalement tue son mari, c'est elle qui ira en prison, pas lui.

Le crime de la femme peut être prouvé. Pas celui de son mari.

Le penseur dont nous parlons, n'est pas un homme d'action. Les massacres provoqués par le penseur passent donc inaperçus.

Le penseur - graine de violence - ricane en voyant le barbare, dont le seul vocabulaire est physique, être arrêté et puni tandis que la guerre mentale va continuer avec sa précision brutale.

Lorsque le barbare sous-équipé tente de riposter en utilisant quand-même des mots, nous nous moquons de lui comme d'un balourd.

En sanskrit, la racine du mot maya est ma, mesurer. Nous traduisons le mot par illusion ou l'illusion, mais techniquement cela signifie un monde construit par la mesure (wiki).

Ainsi, le mot scientifique, le monde rationnel, basé sur la mesure, est maya. Et ce n'est ni une bonne ni une mauvaise chose. Ce n'est pas un jugement. C'est une observation.

Un monde basé sur la mesure portera son attention sur le matériel et perdra la perspective de l'immatériel. Il assumera la vérité mesurée comme la Vérité absolue, et non pas une vérité limitée.

Ceux qui ressentaient une auto-satisfaction joyeuse à railler le Prophète Muhammad sont dans maya. De même ceux qui en ont pris tragiquement ombrage.

Le tueur est en maya et de même le tué. Ceux qui jugent l'un comme une victime et l'autre comme un méchant sont également en maya.

Nous vivons tous dans des réalités que nous nous sommes construites, dont certaines sont basées sur la mesure, et d'autres non, chacune désireuse d'en découdre avec l'autre, ce qui les annule :

L'autre c'est le barbare qui doit être éduqué. L'autre c'est aussi l'intellectuel meilleur mort que vivant.

Fondamentalement, maya nous fait juger.

Car, lorsque nous mesurons, nous nous demandons ce qui est petit et ce qui est grand, ce qui est en haut et ce qui est en bas, ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, ce qui importe et ce qui n'est pas grave.

Des échelles de mesure différentes conduisent à des jugements différents. (...) Tout le monde a raison, dans son / sa maya.

Chaque action a des conséquences. Et les conséquences ne sont bonnes ou mauvaises que rétrospectivement.

Le siècle des Lumières était aussi celui de la colonisation. Les guerres les plus brutales du 20e siècle, des guerres mondiales à la guerre froide, étaient laïques.

La pensée non-violente se manifeste par des mots non-violents qui donnent lieu à une action violente. Le fruit est mesurable, pas la semence.

Séparer la semence du fruit, la pensée de l'action, revient à séparer le stimulus de la réponse. Il en résulte un diagnostic erroné et un médicament inaproprié.

Le tueur ne tue pas la pensée. La pensée crée toujours plus de tueurs.

On n'a que ce qu'on mérite, on reçoit comme on donne. Les attaques sur la violence nourrissent l'indignation sur les caricatures.

La philosophie hindoue (pas la philosophie Hindutva) appelle cela le karma.

Des idées telles que le maya et le karma gênent l'esprit occidentalisé car ils les marginalisent: ceux qui sont déterminés à sauver le monde avec les outils de mesure rejettent pourtant cet outil d'observation perspicace de la condition humaine qu'est le fatalisme.

... Dans sa vie passée, Shishupala était Jaya, le portier de Vaikuntha, qui avait été maudit par le rishis Sanat, pour avoir osé bloquer l'entrée à Vishnu. Le portier Jaya avait toujours soutenu n'avoir fait que son travail, mais la malédiction était irrévocable et Jaya renaquit en tant que Shishupala. Vishnu ayant promis de le libérer et d'accélérer son départ, Shishupala a pratiqué le viparit-bhakti, la dévotion inversée, l'amour par l'invective. Il a donc, insulté Krishna, sachant parfaitement que Krishna était Vishnu et serait obligé d'agir. Il y a une limite au pardon. Mais il ne devrait y avoir aucune limite à l'amour.

( Devdutt Pattanaik écrit et donne des conférences sur la mythologie des temps modernes Visitez www.devdutt.com)